Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/786

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est obligé de se rappeler les paroles par lesquelles M. Guizot terminait son récit des affaires suisses : « Plus de vingt ans se sont écoulés ; qui se souvient et se soucie de M. Ochsenbein et du Sonderbund ? L’histoire a des intermèdes pendant lesquels les événemens et les personnages qui viennent d’occuper la scène en sortent et disparaissent pour un temps, pour le temps des générations voisines de celle qui a vu et fait elle-même ces événemens. L’histoire d’avant-hier est la moins connue, on peut dire la plus oubliée du public d’aujourd’hui ; ce n’est plus là pour les petits-fils des acteurs, le champ de l’activité personnelle, et le jour de la curiosité désintéressée n’est pas encore venu. Il faut beaucoup d’années, des siècles peut-être, pour que l’histoire d’une époque récente s’empare de nouveau de la pensée et de l’intérêt des hommes. C’est en vue de ce retour que les acteurs et les spectateurs de la veille peuvent et doivent parler de leur propre temps ; ils déposent des noms et des faits dans des tombeaux qu’on se plaira un jour à rouvrir. C’est pour cet avenir que le retrace avec détail les négociations assez vaines dont le Sonderbund fut l’objet ; le tiens à ce que les curieux, quand ils viendront, trouvent ce qu’ils cherchent et soient en mesure de bien connaître pour bien juger[1]. »

Le sujet auquel va être consacrée cette seconde étude est d’un ordre tout différent. Il s’agit de l’empire d’Allemagne. Les intérêts qui s’agitent dans cette partie de la correspondance des deux amis, bien loin de se présenter à nous comme un souvenir, préoccupent aujourd’hui plus que jamais les esprits attentifs ; c’est la première des questions européennes. Lorsque, lisant tout à notre aise, grâce à M. Léopold de Ranke, les lettres passionnées de Frédéric-Guillaume IV et de M. de Bunsen sur la question de l’unité allemande, nous nous demandons en fin de compte qui avait tort, qui avait raison, ce n’est pas un problème de politique rétrospective que nous essayons de résoudre ; le présent et l’avenir sont engagés dans le débat. Voici des renseignemens nouveaux qui viennent confirmer nos indications d’autrefois ; nous les livrons aux hommes qui ont charge d’âmes. Toute politique sérieuse suppose et exige la connaissance des grands courans d’opinion qui se forment au sein des peuples. Si nos hommes d’état et nos diplomates, dans ces vingt-cinq dernières années, ont trop négligé cette étude, ce n’est pas une raison pour que les observateurs désintéressés renoncent à leur tâche. De terribles leçons nous ont appris qu’il ne sert de rien de vouloir se faire illusion. Nous ne supprimerons pas les choses qui nous gênent en nous obstinant à

  1. Voyez les Mémoires de M. Guizot, t. VIII, p. 515.