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colonisation. Ce fut d’abord le tour de l’ouest, puis du nord et du centre aujourd’hui c’est celui du sud et de l’est. Les bassins inférieurs du Dniéper, du Don, du Volga, sont comparables sous ce rapport à ceux du Mississipi et du Missouri, l’est russe à l’ouest américain. C’est pour des motifs analogues qu’à mesure que ses territoires se peuplent la Russie forme de nouveaux gouvernemens, comme l’Amérique de nouveaux états. Le caractère colonial se montre dans les dates de la fondation des villes, comme dans la rapidité de leur progrès et dans leur aspect même. Sébastopol, Kherson, Nicolaïef, Kharkof, Taganrog, Saratof, Samara, Perm, la plupart des chefs-lieux de gouvernement ou de district du sud et de l’est, sont moins anciens que les capitales des états de l’Atlantique dans l’Amérique du Nord. Il est d’autres villes en Russie de construction presque aussi récente et de progrès presque aussi admirable que celles de l’ouest américain. Odessa est aussi jeune que le siècle, et déjà aussi grand que Rouen et Le Havre mis ensemble. La Nouvelle-Russie, qui l’a pour capitale, mérite aussi bien son nom qu’aux États-Unis la Nouvelle-Angleterre le sien, et elle est de colonisation bien autrement moderne. A peu près déserte au commencement du Siècle, cette contrée a quintuplé, sextuplé de population en moins de cent ans[1]. Le développement des villes et des campagnes des bords du Volga entre Simbirsk, Samara et Saratof, n’a guère été moins rapide.

L’aspect de toutes ces villes du sud et de l’est répond à leur récente origine. Comme dans le far-west des États-Unis, elles sont toutes bâties sur un large plan, toutes semblables les unes aux autres, sans intérêt, sans individualité, sans autre différence que celle de la position. Comme en Amérique, elles couvrent bien plus d’espace que les villes européennes d’égale population ; on sent qu’elles sont construites moins pour le présent que pour l’avenir, pour un développement indéfini qui ne vient point toujours aussi vite qu’on l’espérait. Avec leurs vastes édifices publics, leurs ambitieux boulevards et ces larges rues que les générations futures seules rempliront, les plus prospères ont un air inachevé, peu agréable au voyageur. Comme en Amérique, les villes, au lieu de suivre les pas de l’agriculture et de la population, les ont souvent précédées, bâties de toutes pièces dans des lieux déserts ; mais aussi, comme en Amérique, plus d’une de ces orgueilleuses cités a été, au lendemain même de sa fondation, abandonnée pour une rivale mieux placée, et demeure avec ses places démesurées qu’aucune foule n’animera jamais.

  1. Boschen, Aperçu statistique des forces productives de la Russie.