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compatible avec le mode d’exploitation plus ou moins solidaire de la commune russe, telle qu’elle est constituée aujourd’hui. S’il n’accomplit cette dernière évolution, le tchernoziom, malgré toute sa fécondité, aura de la peine à atteindre le chiffre moyen de 60 habitans par kilomètre carré, peut-être même celui de 50 à 55. Une augmentation de population d’un tiers, soit de 8 à 10 millions d’habitans, est tout ce que cette zone, la plus belle de ses domaines, peut offrir à la Russie d’ici à un siècle ou deux.

Il en est autrement des steppes à sol fertile. C’est de tout l’empire la région où la population russe peut recevoir le développement le plus considérable, la seule même en Europe où elle puisse aisément doubler ou tripler. Ces steppes sont en train d’accomplir l’évolution économique la plus féconde pour la population, le passage de la vie pastorale à la vie agricole ou au moins de l’agriculture instable, errante, à l’agriculture fixe, permanente. Aussi est-ce la zone où l’accroissement est le plus prompt. Encore en grande partie désertes au commencement du siècle, ces steppes comptent aujourd’hui de 8 à 9 millions d’habitans. La densité de la population y est de 14 à 15 âmes par kilomètre carré ; elle est déjà supérieure à celle de presque toutes les contrées de la région des forêts, bien plus anciennement peuplées. Dans la Nouvelle-Russie, autour d’Odessa, elle a dépassé notablement 20 habitans par kilomètre, et avec le secours de l’émigration elle augmente de près de 3 pour 100 par an, s’approchant avec rapidité de cette limite de 23 âmes par kilomètre, au-delà de laquelle l’agriculture fixe devient une nécessité. Dans les contrées plus centrales et surtout à l’est, la population est moindre et le progrès plus lent. L’éloignement et peut-être aussi l’organisation militaire de ces pays, en grande partie occupés par les cosaques, expliquent ces différences ; mais quand le sud-ouest, favorisé par le voisinage de la mer et de l’Europe, aura atteint un certain chiffre, l’émigration refluera vers le centre et l’est. D’une moyenne de 14 habitans par kilomètre carré, la population du tchernoziom steppien s’efforcera de monter au niveau de celle de la terre noire proprement dite, à 40, peut-être à 50. Ses 8 ou 9 millions d’habitans pourraient ainsi s’élever à 20, peut-être à 25 millions. Aller au-delà semble difficile malgré toute la fécondité de la steppe, atteindre à ce niveau ne sera même pas l’affaire de quelques années. Ces plaines au sol si fertile ont de redoutables adversaires dans le climat, dans le manque d’eau, dans le manque de bois ; même avec l’aide des chemins de fer et des mines de charbon, qui leur fourniront les matériaux de construction et le combustible, il est douteux qu’elles arrivent de longtemps à une population continue égale à celle que possède aujourd’hui la terre