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d’une sorte de contradiction qu’on ne saurait trop méditer. Si l’on prend la Russie d’Europe avec la Pologne, la Finlande et le Caucase, on trouve que les deux tiers de ses habitans n’occupent pas un tiers de son territoire, et, chose plus singulière, c’est dans cette zone la plus peuplée que la population augmente le plus[1]. Cette apparente anomalie s’explique aisément : cette zone, où la population est la plus dense ou la plus progressive, renferme les parties les plus productives de l’empire. Elle est composée de quatre régions, dont trois possèdent les meilleures terres de la Russie, et dont la quatrième en est le grand, presque l’unique centre industriel. Les régions agricoles sont la terre noire, le grenier de la Russie et de l’Europe, — les steppes à sol arable, qui déjà commencent à rivaliser avec le tchernoziom, en attendant qu’elles se confondent avec lui, — enfin les frontières occidentales de l’empire, le royaume de Pologne avec une partie de la Lithuanie et des provinces baltiques, pays dont le sol est moins riche, mais dont la position géographique et l’ancienneté de la civilisation favorisent l’essor. La région industrielle est celle de Moscou et des gouvernemens voisins, qui doit sa nombreuse population moins à des causes historiques qu’à sa position centrale entre les deux grandes voies fluviales de l’intérieur de l’empire, le Volga et son affluent l’Oka, et au voisinage des plus belles contrées forestières du nord en même temps que des plus fertiles terres du tchernoziom. Réunies, ces quatre régions n’occupent en-deçà de l’Oural que 1,700,000 kilomètres carrés sur une surface d’environ 5 millions 1/2, tandis qu’elles comptent de 53 à 54 millions d’habitans sur un total de 77 à 78. Avec une population a une densité moyenne, plus de quatre fois supérieure au reste de la Russie d’Europe, elles ont une augmentation proportionnellement deux lois et demie plus forte (8,6 pour 100 contre 3,4 pour 100 dans une période de neuf ans). C’est à leur point de réunion, vers le méridien de Moscou et au sud de cette ville, que se trouve le centre de gravité naturel de l’empire. Ce sont là les parties vitales de la Russie ; les autres régions, qui comprennent les deux tiers de son territoire européen, n’en sont que des appendices plus ou moins indispensables : toute leur importance est déterminée par, leurs relations avec ce noyau central, les unes le reliant à la mer et par de longs fleuves lui ouvrant des débouchés sur l’Europe ou l’Asie les autres lui offrant dans leurs montagnes de précieuses richesses minérales ; la plupart lui gardant dans leurs forêts d’immenses réserves de bois, quelques-uns lui servant au midi de jardin et comme de serre ou de verger.

  1. Séménof : Statistitcheski Vréménik, p. 154-155.