Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

direction d’hiver et leur direction d’été un écart croissant. Dans ces régions du sud, les hivers sont moins longs que dans le nord ; ils ne sont guère moins rigoureux ; quand ce n’est pas sous celui de la température moyenne, c’est sous le rapport des abaissemens extrêmes. A Astrakan, sous la latitude de Genève, il n’est pas rare qu’à six mois d’intervalle les variations thermométriques embrassent jusqu’à 70 et même 75 degrés de l’échelle centigrade. Les influences contraires de la Sibérie et de l’Asie centrale enlèvent à la Caspienne le rôle modérateur des grandes surfaces d’eau. Sur les côtes de cette mer intérieure jusqu’au pied du Caucase, sous le 44e parallèle à la hauteur d’Avignon, le froid descend jusqu’à 30 degrés au-dessous de la glace : en revanche la chaleur en été peut s’élever jusqu’à près de 40 au-dessus. Aux confins de l’Asie, dans les brûlantes steppes des Kirghizes, sur la latitude du centre de la France, le mercure demeure quelquefois congelé pendant des journées entières, et en été le même thermomètre, mal surveillé, éclate au soleil. C’est au centre du continent, vers les bords de la mer d’Aral, que ces températures excessives atteignent leur maximum. Il y a là des intervalles de 80, peut-être 90 degrés centigrades entre les plus grands froids et les plus grandes chaleurs, et c’est ainsi que dans leur récente marche sur Khiva les troupes russes ont eu à braver tour à tour l’extrême de l’hiver et l’extrême de l’été. Dans le sud de la Russie d’Europe, en dehors du bassin inférieur du Volga, le climat n’est point aussi inhumainement outré. Les contrastes des saisons sont cependant encore fort sensibles au nord de la mer d’Azof et même de la Mer-Noire dans le bassin du Don et du Donets. Là aussi l’écart entre le jour le plus froid et le jour le plus chaud dépasse parfois l’intervalle de 70 degrés centigrades[1]. La Crimée elle-même, que baignent deux mers, n’est pas à l’abri de ces redoutables contrastes ; pour leur échapper, il faut que les Russes franchissent les montagnes de la côte méridionale de la presqu’île ou les escarpemens du Caucase.

Pour produire une distribution de la chaleur aussi inégale entre les diverses saisons, il suffit de la concordance de l’aplatissement du sol avec les influences continentales, jointes au déboisement de ces régions. Ces oppositions de température sont en Russie un des grands obstacles à la vie civilisée ; ils ne sont une barrière insurmontable que là où, comme au-delà de la Caspienne, ils atteignent à des excès effrayans pour l’imagination. Il ne faut point oublier que notre climat tempéré est de tous les privilèges de l’Europe celui

  1. Le Play, Description du bassin du Donets ; Voyage du prince Demidof dans le sud de la Russie, t. III.