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matériellement du sol, il courra le risque de rester encore moralement sous le joug, énervé par le climat, esclave d’impressions d’une nature qui le rapetisse. Tout autre est la Russie : si les forêts n’y couvrent pas moins d’espace, nulle végétation sous leur maigre feuillage ; point de ces lianes, point de ces belles parasites de toute sorte qui rendent inextricables les forêts tropicales. La faune comme la flore est pauvre pour un si vaste pays ; peu d’insectes, point de serpens, point d’animaux féroces, seulement quelques loups dans les bois, quelques ours dans les déserts du nord. La monotonie et l’indigence sont les caractères de cette nature. En dehors des grands déserts, on ne rencontre peut-être pas sur le globe une aussi large surface où la vie présente aussi peu de variété et de puissance. La nature inanimée, la terre seule est grande ; la vie est faible, peu féconde en espèces, peu robuste dans ses produits, hors d’état de lutter avec l’homme. À ce point de vue capital, la Russie est aussi européenne qu’aucune partie de l’Europe. La terre y est docile, facile à asservir. À l’inverse des plus magnifiques contrées des deux hémisphères, elle est faite pour le travail libre, le travail du blanc. Le climat russe n’exige point le labeur de l’esclave, il n’a pas besoin du nègre de l’Afrique ou du coolie chinois. Le sol russe n’use point celui qui le cultive, il ne menace point sa race de dégénérescence, il ne produit point de créoles. L’homme n’y rencontre que deux obstacles, le froid et l’espace, — le froid, plus facile à vaincre que l’extrême chaleur, et plus qu’elle congénère à notre race et à notre civilisation, — l’espace, dans le présent l’ennemi déjà à demi vaincu de la Russie, et son grand allié pour l’avenir.


II

Le principal caractère de la Russie, c’est l’unité dans l’immensité. Au premier coup d’œil, en comparant les extrémités de ce vaste empire, les toundras glacées du nord aux déserts brûlans des bords de la Caspienne, les lacs à vasques de granit de la Finlande aux chaudes montagnes de la côte méridionale de la Crimée, on est frappé de la grandeur des contrastes. Il semble qu’entre ces limites, entre la Laponie, où vit le renne, et les steppes du Volga, où vit le chameau, l’intervalle soit si vaste qu’il faille bien des régions différentes pour le remplir. Il n’en est rien. La Russie à ses extrémités, en Europe même, a des échantillons de tous les climats ; mais les contrées de l’aspect le plus tranché, la Finlande, la Crimée, le Caucase, ne sont que des annexes de L’empire, annexes