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prenne bien : ce n’est pas le rôle légitime et salutaire de la religion qu’on peut être tenté de mettre en cause, surtout dans des momens comme ceux-ci. Le sentiment religieux ne se réveille jamais plus vivement que dans les âmes endolories, chez les nations éprouvées, qui ont souffert dans leur grandeur, et qui en viennent aussi à comprendre que la liberté elle-même n’a été si incertaine, si souvent exposée à périr, que parce qu’elle ne s’appuyait pas à de fortes croyances ; mais à côté de ce qu’il peut y avoir de sincère, de vrai et de sérieux dans un tel mouvement, il y a ce qu’on peut appeler une agitation extérieure, bruyante, artificielle. On ne rêve que pèlerinages, miracles, dévotions nouvelles, Lourdes, la Salette, Paray-le-Monial ! Ce n’est plus même le vieux catholicisme français, intelligent et indépendant, qui se réveille ; c’est un catholicisme nouveau, absolu, ardent à la propagande, qui renie les traditions françaises et entre en guerre avec tout ce que pense l’esprit moderne. Ce catholicisme, si on le laissait faire, conduirait la France à la croisade pour rétablir le pouvoir temporel du pape à Rome, il ferait de l’état le serviteur soumis de l’église, et il transformerait l’assemblée de Versailles en concile. M. de Belcastel et M. le général Du Temple se chargeraient de présider aux travaux du concile. Cette agitation cléricale, introduite jusque dans une assemblée politique, est certainement un des traits caractéristiques et un des périls du moment. Elle à conduit déjà depuis deux mois à un certain nombre de manifestations ou de mesures dont la plus curieuse est la loi présentée, sur la demande de M. l’archevêque de Paris lui-même, pour la construction d’une église au haut de Montmartre.

Construire une église, rien de plus simple assurément ; mais cela ne suffisait pas aux zélés de l’orthodoxie, et de ce qui était tout simple on a voulu faire un acte exceptionnel, une sorte de solennité nationale expiatoire. Une fois sur ce chemin, on était en train d’aller fort loin, et peu s’en est fallu qu’on ne vît une assemblée politique reconstituer la propriété ecclésiastique au profit de M. l’archevêque de Paris, introduire dans une loi non plus une religion d’état, selon le mot spirituel de M. de Pressensé, mais une dévotion d’état, décréter la dédicace d’une église au sacré cœur, « pour attirer la miséricorde de Dieu sur la France et particulièrement sur Paris. » Pour couronner et compléter la consécration, une délégation de l’assemblée devait aller assister officiellement à la pose de la première pierre de l’église de Montmartre. Tout cela a été proposé par quelques membres de la droite. Fort heureusement on s’est arrêté à temps. M. Bertauld, un spirituel professeur de droit de Caen, a démontré en habile jurisconsulte le danger de reconstituer la propriété ecclésiastique. Dans la droite même, il s’est trouvé des hommes assez prudens pour comprendre qu’on les entraînait au-delà de toute limite. La commission à son tour a refusé assez nettement de se prêter à ces combinaisons, et en fin de compte la loi telle qu’elle a été votée n’est