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« Dans notre mère Moscou aux murs de pierre — coule une rivière rapide, la Moscova ; — sur la rive droite est l’armée du tsar blanc, — du tsar blanc Pierre Ier ; — sur la rive gauche sont les Français (les Suédois ?). — À leur tête est leur général ; — dans sa main, une lunette d’or, — une lunette d’or, une lunette d’approche. — Il regarde dans la campagne rase, — dans la campagne et sur la mer bleue. — Ce n’est pas la poussière qui poudroie dans les champs, — ce qui poudroie, c’est l’armée des Français, — ils battent, ils exterminent — l’armée du tsar blanc Pierre Ier. — « Madame la tsarine, — cédez-nous toutes les viles du pays bas, — toutes les vastes îles, tous les profonds lacs, — toutes les campagnes rases, tous les bois ombreux. »


Heureusement le roi de Suède, suivant l’expression même de Pierre le Grand, alla s’enlizer dans les marais et les intrigues de la Pologne. Le 29 décembre 1701 (vieux style), Chérémétief battit les Suédois de Schippenbach à Ehresfer. Ils perdirent 3,500 hommes sur 7,000 qu’ils étaient. Les Russes se trouvaient en nombre supérieur ; mais c’était quelque chose que de vaincre leurs maîtres même à trois contre un, en attendant qu’ils les vainquissent à nombre égal. Ehresfer, cette aînée des victoires russes, fut célébrée à Moscou par un triomphe à la romaine, où défilèrent les armes, les canons et les étendards conquis. « Gloire à Dieu, s’écria Pierre, nous pourrons un jour battre les Suédois. » La byline de la Bataille d’Ehresfer, trop longue pour être reproduite ici, se distingue par une précision historique vraiment remarquable. On y voit, comme dans le récit d’Oustriaelof, le général russe s’avancer de Pskof sur Dorpat ; on y retrouve l’enlèvement de 300 Esthoniens commandés par le lieutenant-colonel suédois Liven, les lacs et les marais de Kannapaeh qui couvraient l’armée suédoise, le rôle important de l’artillerie russe, qui démonta vingt et un canons, enfin l’ordre donné par Chérémétief d’aborder l’ennemi à l’arme blanche. — « Comme ils pleuraient, les soldats suédois, — comme ils criaient tout en pleurs : — O la maudite infanterie de Moscou, — comme elle multiplie ses charges, ses attaques ; — ah ! nous sommes cruellement vaincus. »


Après la défaite du roi de Saxe, son allié, Pierre le Grand avait offert la paix à Charles XII. « J’irai la chercher à Moscou, » répondit l’Alexandre du nord. À cette bravade du roi de Suède, la poésie russe répondit par un défi moqueur :


« La veille du jour de saint Pierre, patron du tsar, — comme retentit la trompette d’or, — comme résonne le clairon d’argent, — ainsi parla notre père le tsar orthodoxe : — Écoutez, écoutez, les princes, les boïars,