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culottes de drap à l’ancienne mode, — des bottes de roussi à bout recourbé. — Ils rament joyeusement, ils chantent des chansons…

« Qu’est-ce qui blanchit donc là-bas, sur l’eau ? — Ce qui blanchit, c’est le pavillon du gouverneur, — celui qu’ils attendent et qu’amène le malheur. — Le gouverneur d’Astrakan comprit tout et dit : — Écoutez, vous tous, bourlaks, hommes libres ; — prenez mon trésor d’or tant qu’il vous plaira, — prenez mes habits de gouverneur, en étoffes de couleur, — prenez mes objets rares qui viennent d’outre-mer, — prenez toutes mes richesses d’Astrakan. — Mais, disent les bons bourlaks, les hommes libres, — ce qui nous est précieux, ce n’est pas ton trésor ; — ni précieux ton habit de gouverneur, — ni précieuses tes raretés d’outre-mer, — ni précieuses tes bagatelles d’Astrakan ; — ce qui nous est précieux, c’est ta tête. — Et ils coupèrent au gouverneur sa tête rebelle, — ils jetèrent sa tête dans la mère Volga, — et les bons compagnons firent des moqueries sur elle : — Es-tu plus heureux, gouverneur, d’avoir été méchant pour nous ? — Ah ! tu nous battais, nous tuais, nous exilais ! — ah ! tu tirais sur nos femmes, nos enfans, à nos portes ! »


Les cosaques du Don ne se révoltèrent que l’année suivante. L’occasion de leur conflit avec le gouvernement fut la défense qu’on leur intima de donner asile aux paysans qui s’enfuyaient de chez leurs maîtres et aux contribuables qui cherchaient contre l’impôt un refuge dans les villages privilégiés du Don. L’empire n’entendait plus que la « force cosaque » s’accrût de sa substance. Alors Boulavine, Frolof, Nekrassof, Dranyi, appelèrent aux armes les « amateurs de promenade. » Les insurgés furent d’abord assez heureux : ils égorgèrent le prince George Dolgorouki, battirent les Russes sur la Liskovata, prirent Tcherkask, menacèrent Azof, le tout en protestant de leur fidélité au tsar, et accusant les voiévodes d’avoir agi « sans son ordre. » Le frère du mort, Vassili Dolgorouki, fut chargé de la répression. Les recommandations clémentes de Pierre et les dissensions des chefs cosaques favorisèrent ses progrès. Au premier insuccès, Boulavine fut égorgé. Dranyi et Frolof s’enfuirent chacun de leur côté, et Nekrassof, avec 2,000 hommes seulement, se réfugia dans le Kouban. — On peut se demander pourquoi le héros des chansons sur la révolte se trouve être non pas Boulavine, qui commanda en chef, mais son lieutenant Nekrassof, pourquoi celui-ci s’enfuit sur le Dnieper et non dans le Kouban, pourquoi on lui donne 40,000 hommes au lieu de 2,000 ; cependant ce qu’il faut remarquer dans cette byline, c’est une précision presque historique dans l’exposé des griefs des insurgés. On dirait que le poète s’est contenté de versifier la requête qui fut réellement adressée au tsar par Boulavine en mai 1708. Du reste, dans tous les exposés de ce genre, dans celui des strélitz à Schein