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« Le seigneur le tsar s’avance sur l’Escalier-Rouge, — il parle d’une voix retentissante : — Tu m’entends, ataman des strélitz ? — Non, point de miséricorde pour vous ; — va, rassemble ton armée de strélitz, — conduis les uns sur la Place-Rouge, — les autres au champ de Koulikovo ; — je décapiterai les uns, pendrai les autres ; — à toi, l’ataman, je te couperai la tête.

« Alors les pieds rapides du jeune homme fléchissent, — il laisse tomber ses bras blancs, — incline sa tête sur sa poitrine, — laisse échapper sa toque de zibeline. — Sa toque de zibeline valait 100 roubles, et sa pelisse de koumi 1,000 roubles… »


L’exécution du prince grand-boiar, ataman des strélitz, nous fait assister au supplice d’un héros imaginaire, et qui semble uniquement la personnification de la révolte ; mais, beaucoup d’entre eux se considéraient comme des martyrs de la cause nationale, et le trépas de ces gens du peuple fut tout aussi noble qu’aurait pu l’être celui d’un « grand-boïar. » Le strélitz Orlof, qui devait faire souche de princes, écarta fièrement Pierre le Grand du billot qui lui était destiné, et, pendant que leurs femmes les suivaient en chantant déjà suivant l’usage national, les lamentations funèbres, eux non plus « ils ne s’humilièrent pas devant le tsar. »


« Il va, le jeune homme, il ne recule pas, — il regarde fièrement tout le monde, — il ne s’humilie pas devant le tsar. — En avant marche le bourreau terrible, — dans ses mains la hache tranchante. — Derrière l’ataman, son père et sa mère, — son père et sa mère et sa jeune épouse. — Dans leurs sanglots ils s’écrient : — O toi, notre cher enfant, — humilie-toi devant le tsar, — accuse-toi de ta faute, — le tsar peut-être te pardonnera, — laissera ta tête sur tes fortes épaules. — Le cœur du jeune homme s’endurcit, — il se raidit, il résiste au tsar, — il n’écoute ni son père, ni sa mère, — il n’a pas de pitié pour sa jeune épouse, — il n’a pas de chagrin de ses petits enfans. »


Vient ensuite en 1705 la révolte d’Astrakan, où d’autres strélitz égorgèrent le voiévode Timoféi Rjevski. Il n’est pas le premier gouverneur de la turbulente cité qui ait eu un sort tragique. A qui peut bien se rapporter la chanson que voici : à Rjevski, massacré sous Pierre le Grand, ou à Prosorovski, qui périt sous Alexis ?


« Sur la rivière notre mère, sur la rivière Kamychka — voguent, naviguent les barques des essaouls. — Dans les barques sont assis les rameurs, tous bons bourlaks, tous braves du Volga. — Ils sont assis, frères, en beaux costumes : — ils ont des toques de zibeline avec le dessus en velours, — des caftans gris, doublés de damas, — des ceintures en soie d’Astrakhan, — des chemises de taffetas à galons d’or, — des