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craignaient de voir à tout instant s’entr’ouvrir sous leurs pieds cette terre française, où malgré nos désastres les glorieux souvenirs du passé se dressaient devant eux. Ils allaient répétant sans cesse : « La guerre ! malheur pour vous ! malheur pour nous ! » mais au moindre soupçon, à la moindre apparence d’hostilité, au moindre retard dans l’exécution de leurs ordres ou de leurs caprices, ils se vengeaient par d’implacables rigueurs, et jamais les habitans d’Amiens n’oublieront le malheureux Parmentier, leur concitoyen, assassiné par un conseil de guerre de la première armée. Nous nous sommes fait un devoir de signaler la conduite du colonel Pestel à la suite du combat de Longpré ; nous devons de même signaler un acte de froide cruauté qui restera l’une des hontes de l’invasion.

Parmentier exerçait à Amiens la profession de pâtissier-confiseur. Au lendemain de Pont-Noyelles, sept soldats prussiens vinrent loger chez lui ; ils se gorgèrent, sans les payer, des friandises de sa boutique, et se trouvèrent tellement satisfaits qu’ils lui donnèrent des poignées de main et le traitèrent de « camarade ; » mais c’est le caractère propre de la race allemande, — tout le monde l’a remarqué pendant l’occupation de la Picardie, — de passer brusquement de la placidité à des emportemens de colère furieuse. Les soldats, après avoir fraternisé, commandèrent un repas pour dix, quoiqu’ils ne fussent que sept ; Parmentier répondit qu’il ne pouvait préparer ce repas que pour cinq, les provisions lui faisant absolument défaut. Aussitôt l’un de ceux qui venaient de l’appeler camarade lui envoya en pleine figure un coup de poing qui le fit reculer jusqu’au bout de la chambre. Non content de cette lâche agression, le soldat saisit un couteau qui se trouvait sur une table et en frappa sa victime, qui ne se défendait pas. Les autres, qui étaient en train d’écrire, se lèvent, saisissent des chaises, et blessent grièvement Mme Parmentier, qui essayait de défendre son mari. Au bruit qui se fait dans la maison, les Allemands qui passaient dans la rue envahissent la boutique ; ils entraînent Parmentier et le piétinent sur la glace du ruisseau. Sa femme se jette à leurs pieds en criant : grâce ! Elle est frappée violemment. « Vous êtes des lâches, s’écrie Parmentier, donnez-moi donc un sabre, que je me défende au moins, puisque vous voulez me tuer. » Il devait payer de sa vie ce cri de désespoir. On le porta tout sanglant à la citadelle où ses blessures ne furent jamais pansées, et pendant plusieurs jours sa famille ignora ce qu’il était devenu.

Au moment où l’armistice fut signé, la population d’Amiens, qui s’intéressait vivement au sort du prisonnier, put croire qu’il allait être rendu à la liberté. Les personnes les plus considérées de la ville, toutes celles qui pouvaient à un titre quelconque avoir accès auprès des autorités prussiennes, intercédèrent en sa faveur.