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respect des glorieux ancêtres, Elle a trouvé dans la modération de ses opinions politiques un nouvel élément de prospérité ; vouée au travail et à l’étude, elle se laisse difficilement prendre à la glu démagogique, et, si le radicalisme a tenté dans ces derniers temps de mettre la main sur sa population ouvrière, tout annonce qu’il ne réussira pas mieux que l’ex-capucin Chabot, lorsqu’il vint en 93 danser la carmagnole sous les vertes allées des belles promenades de la Hautoye.


II. — LES MONUMENS. — SAINT-ACHEUL. — LE MUSEE. — LA CATHEDRALE.

Amiens avant la révolution ne comptait pas moins de onze couvens d’hommes, onze couvens de femmes, et des églises en proportion. La révolution n’a détruit que très peu de choses, mais la plupart des édifices religieux ont changé de destination. Certaines églises sont devenues des maisons de roulage, d’autres des magasins, et de toutes les anciennes abbayes Saint-Acheul est la seule qui soit encore occupée par une corporation religieuse. Les jésuites, qui avaient pris le pseudonyme de paccanaristes, l’achetèrent dans les premières années de la restauration et y fondèrent un collège dont le nom a retenti bien souvent dans les journaux de cette époque. Le père Sellier en 1816 y exorcisa un diable du nom de Crapoulet, le père Loriquet, l’un des directeurs des études, y confectionna une foule de petits livres très remarquables par leur tendance à l’abêtissement, et c’est de là qu’est sorti ce fameux Abrégé de l’histoire de France où le titre de lieutenant-général des armées de sa majesté Louis XVIII était décerné à M. le marquis de Buonaparte. On a prétendu depuis que cette facétieuse désignation n’était qu’une pure invention de journalistes mal pensans, et le fait est qu’on la chercherait en vain dans les rares exemplaires qui circulent encore aujourd’hui ; mais des bibliographes ordinairement bien renseignés assurent que les révérends pères ont dérogé en faveur de l’Abrégé d’histoire à leur célèbre maxime : sint ut sunt, vel non sint, et que, ne pouvant expurger la première édition, ils l’ont fait disparaître, ce qui permet de dire maintenant que le père Loriquet a été l’innocente victime de la calomnie. Si le compromettant Abrégé a disparu, les Souvenirs de Saint-Acheul[1] se trouvent encore dans quelques bibliothèques, et ils ne sont certainement pas de nature à édifier les gens sensés qui pensent que le premier devoir des hommes chargés de l’éducation de la jeunesse est de lui enseigner le respect de la famille. Il y a dans ce petit livre un mysticisme sombre qui pousse au mépris des affections les

  1. 1 vol. in-18, à Amiens, chez Caron-Vitet, 1828.