Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de dressoirs ; elle a exécuté les stalles de la cathédrale, les quatre pyramides qui les décorent, les cadres des tableaux votifs de la confrérie de Notre-Dame du Puy, et il fallait certes que le sentiment de l’art fût bien profond, l’inspiration bien spontanée au moyen âge et à l’époque de la renaissance pour que de simples maîtres menuisiers aient accompli de pareils chefs-d’œuvre.

Blasset, au XVIIe siècle, continua brillamment les traditions de l’école amiénoise. Quoiqu’il eût obtenu le titre de sculpteur et d’architecte du roi, il n’a guère travaillé que pour sa ville natale. Les étrangers ne le connaissent que par l’Ange pleureur qui décore un tombeau de la cathédrale ; mais en ce moment même deux amateurs, ses compatriotes, publient son œuvre complète à leurs frais, et ce travail de patriotisme local mettra en lumière l’un de nos artistes les plus éminens dont on cherche en vain le nom dans la plupart des dictionnaires biographiques. Au XVIIIe siècle, Cressent, Vimeu, Dupuis, Carpentier, soutinrent dignement la réputation de leur ville. Une école des beaux-arts y fut établie en 1758, et aujourd’hui même la vieille famille des sculpteurs amiénois prouve qu’elle n’a point dégénéré. Elle a pour représentans M. Caudron, auteur de la belle statue de Du Gange, élevée sur l’une des places publiques d’Amiens, M. de Forceville, qui a consacré son ciseau à reproduire les statues et les bustes de ses concitoyens, et MM. Duthoit frères, qui ont fait revivre les traditions de l’art du moyen âge et de la renaissance. Comme ce vieux caméronien de Walter Scott qui passait sa vie à relever les pierres des tombeaux renversés par le temps et rongés par la mousse, MM. Duthoit se sont voués au culte des ruines. Ils n’ont point quitté leur chère Picardie pour en étudier les monumens, et l’un d’eux, par un prodige de patience et de ferveur archéologique, en a fixé dans plus de huit mille dessins tous les aspects et tous les souvenirs[1]. C’est à l’aide de ce travail unique en son genre qu’il a pu surprendre jusque dans les moindres détails les secrets de l’ornementation figurée du moyen âge, avec le type particulier qu’elle offre dans les provinces du nord. M. Viollet-Le-Duc, qui s’y connaît, l’a surnommé le dernier des imagiers, et n’a voulu confier qu’à lui seul le soin de rétablir dans leur intégrité première les statues mutilées de la cathédrale, dont il dirige depuis longtemps les travaux.

On le voit, la vie intellectuelle a toujours marché de front à Amiens avec la vie commerciale, et c’est là ce qui a fait à toutes les époques son honneur et sa fortune. Au milieu des bouleversemens de la société moderne, cette ville a gardé le culte de son passé, le

  1. Un choix de ces dessins est en ce moment publié par M. Jeunet, imprimeur, sous ce titre : le Vieil Amiens. Il est aussi question dans cette ville de publier une monographie de la cathédrale sur le plan de la monographie de la cathédrale de Bourges.