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Bon, d’Isabeau de Portugal, de Louis XI et de Louis XII offrent des modèles achevés de la sculpture de la renaissance.

Si maintenant de Rue et des bas champs de Marquenterre nous montons dans les plaines qui s’étendent sur la rive droite, entre Abbeville et les dunes, nous découvrons dans le lointain une vaste forêt, et là encore se réveillent des souvenirs de guerre, car sous l’ombre même des grands arbres qui noircissent l’horizon s’élève le bourg de Crécy, qui fut le théâtre de l’un des plus grands désastres de notre histoire.

En 1346, Edouard III débarqua en Normandie avec une armée de 40,000 hommes, composée principalement de gens de pied, et dans laquelle figuraient un grand nombre des redoutables archers qui se vantaient de percer d’un coup de flèche trois hommes de file et de tirer du sang à une girouette. Il marchait, ravageant tout sur son passage, égorgeant et incendiant, comme il s’en vante lui-même dans ses bulletins[1]; mais les populations, exaspérées par ce système de dévastation, s’armèrent de toutes parts : elles attaquèrent les Anglais sans trêve ni repos, et ceux-ci, perdus au milieu d’un immense échiquier féodal et municipal, où chaque village avait sa forteresse, chaque ville son enceinte murée, s’épuisaient dans la plus redoutable des guerres, la guerre de détail, lorsque Philippe de Valois se mit à leur poursuite avec une centaine de mille hommes. Edouard alors se replia sur le Ponthieu, où il espérait, en sa qualité de comte, trouver des partisans; il n’y trouva que des ennemis. Après avoir tenté vainement de forcer le passage de la Somme à Pont-Remy et à Abbeville, il se voyait acculé à la mer et à des marais impraticables où Philippe, qui s’avançait à marches forcées, pouvait le rejeter par une brusque attaque. Pour échapper à ce danger, il demanda aux prisonniers qu’il traînait à sa suite si l’un d’eux ne pourrait pas lui indiquer un endroit où la Somme fût guéable. Un valet de ferme de Mons en Vimeu, Gobin Agache, séduit par l’appât de sa liberté et de 100 pièces d’or, s’offrit de le conduire à La Blanque-Taque, « là où les bêtes du pays, dit Froissart, soûlaient passer quand la mer était retraite. » L’armée anglaise, guidée par Agache, arriva au moment de la morte eau devant le gué fatal, dont on reconnaît encore la place au rideau crayeux qui longe le chemin de fer d’Amiens à Boulogne, à 2 kilomètres en avant de la station de Noyelles. La Blanque-Taque était fortement gardée; mais au lieu de rester postés sur la falaise, qui

  1. « En traversant avec notre armée le royaume de France, nous avons fait détruire et brûler une grande quantité de châteaux, manoirs et villages où nous éprouvions de la résistance. » Rymer, t. II, IVe partie, p. 20.