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apparition, saluer avec une prophétique ardeur l’avènement de la marine nouvelle. Nulle trace de ce pressentiment ne se rencontre dans l’intéressant rapport auquel j’ai emprunté les détails qui précèdent. L’artillerie de la Persévérance consistait en huit bouches à feu du calibre de 68, fondues en Angleterre sur le modèle des pièces que venait d’inventer le colonel Paixhans. La Persévérance pouvait ainsi tirer à volonté des boulets ronds, « froids ou rougis au feu, » des bombes du poids de 45 livres et des boîtes à mitraille contenant jusqu’à 500 balles de fer. Entre les mains d’un officier instruit et intrépide, un pareil navire devait rendre à la Grèce de plus signalés services que la somptueuse frégate achetée en Amérique. Il ne lui était pas réservé d’effacer la mémoire des vaillans brûlots grecs. Jamais le capitaine Hastings, malgré tout son mérite, n’alluma d’incendies pareils à ceux de Chio et de Ténédos.

La fin de l’année 1826, — j’insisterai sur ce point, — nous fait assister dans le Levant à un bien singulier spectacle. En Grèce comme en Turquie, on n’a plus foi qu’aux choses et aux hommes qui viennent de l’Occident. La Grèce avait Miaulis, Sachtouris, Canaris, des marins tels que peu de siècles en ont produit, des patriotes dont les plus beaux jours des républiques antiques se fussent honorés, et elle attendait, avec une simplicité dont nous n’avons plus, hélas ! le droit de sourire, son salut de la venue toujours différée de Cochrane. On sait avec quelle audace lord Cochrane dirigea les brûlots anglais qui incendièrent une partie de l’escadre de l’amiral Allemand dans la funeste affaire de l’île d’Aix. Cet officier anglais devait à son intrépidité, mais beaucoup aussi à ses affinités politiques, le renom européen dont il jouissait. Cochrane était l’amiral-né de toutes les insurrections. La capture de la frégate espagnole l’Esmeralda sur la rade du Callao, pendant la guerre que l’Espagne soutenait contre ses colonies, avait mis le sceau à sa réputation. Depuis deux ans, tous les regards en Grèce étaient tournés vers Malte, car c’était de Malte que Cochrane et la délivrance devaient venir. Enfin le 17 août 1825 la Grèce passa un contrat avec son héros. Lord Cochrane promettait ses services jusqu’à la fin de la guerre ; il n’exigeait en échange que la somme de 1,425,000 fr., à la condition toutefois que la moitié de cette somme lui serait payée d’avance.

Tous les dévoûmens, — j’ai hâte de le dire à l’honneur de l’humanité et de l’opinion libérale, — ne s’étaient point ainsi fait, marchander. Les premiers étrangers qu’un élan généreux associa dès le début de l’insurrection à la défense de la liberté hellénique trouvèrent la mort à la bataille de Petta, ou disparurent bientôt l’un après l’autre fatigués des mésintelligences dont ils étaient les