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faire, dit-il, quelque chose pour les Français ; ne sont-ce pas nos meilleurs amis ? — Attendez, ajouta-t-il en retenant le drogman impatient de se retirer, je veux vous montrer comment nous faisons ici l’exercice. » Un soldat égyptien fut appelé, et exécuta deux ou trois fois de suite la charge en douze temps. Hussein-Pacha était « dans une sorte d’ivresse. » Il demanda un autre soldat, et lui ordonna de faire l’exercice à l’allemande. Ce pauvre diable manqua laisser échapper plusieurs fois son fusil ; sa maladresse ne servit qu’à faire mieux ressortir les avantages de la méthode française. « Le pacha, nous dit M. Desgranges, avait la tête montée au dernier point. » Au sérail, où se tenaient le reïs-effendi et le grand-vizir, l’effervescence n’était pas moindre. Chacun avait le sentiment d’avoir échappé à un immense danger et se livrait sans contrainte à la grosse joie des gens qui ont eu peur.

Toute la nuit du 15 au 16 fut éclairée par l’incendie des casernes. Pendant la journée du 16, la recherche des rebelles se poursuivit avec activité ; les exécutions continuèrent. À midi, le sultan se rendit à la prière du vendredi dans une petite mosquée voisine de Sainte-Sophie. Pour la première fois, les topchis formèrent la haie conjointement avec les seymens : c’est ainsi que se confirma l’abolition de l’odjak des janissaires.

Le 17 juin, le sandjak-chérif fut rapporté au sérail. Le grand-vizir, les ulémas et les ministres quittèrent l’hippodrome, mais ils restèrent campés dans la première cour du sérail. Le sultan continua d’habiter la partie de ce palais nommée Top-Capou, partie où sa hautesse passe d’ordinaire les premiers jours du printemps avant d’aller s’établir à son palais d’été. La tranquillité la plus complète régnait d’ailleurs dans la ville. Des patrouilles de milice urbaine circulaient toute la nuit dans les rues, et chaque maison entretenait un fanal allumé jusqu’au jour. Les Européens enhardis n’hésitaient plus à s’aventurer hors de leurs demeures. Quelques-uns se promenaient même dans les quartiers turcs, et partout les crieurs publics invitaient les habitans paisibles à vaquer de nouveau à leurs affaires.

Les hammals avaient été compris dans la proscription. Ceux qui n’avaient pas mérité la mort furent exilés et transportés en Asie. Le patriarche arménien fournit 10,000 portefaix de sa nation pour les remplacer. Les etnafs ou corporations de marchands et artisans se chargèrent d’assurer provisoirement le service de la garde des bazars et des bezesteins, car il fallut aussi changer les gardiens de ces établissemens, soupçonnés pour la plupart d’avoir trempé dans la rébellion. Il en fut de même des pompiers, presque toujours auteurs des incendies qui désolaient