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renoncer à trafiquer des billets de solde, ne plus songer à s’approprier les paies vacantes ! « Obéir aveuglément aux ordres des officiers, vaincre on mourir à son rang, voilà se disaient-ils, la nouvelle ordonnance. » On comprend aisément que, présenté sous de telles couleurs, l’exercice des giaours, en dépit de toutes les arguties des vizirs et des hommes de loi, inspirât à la milice bourgeoise de Constantinople une répugnance invincible. Les exercices continuèrent cependant le 13 et le 14. Dans la nuit du mercredi au jeudi 15 juin, vers onze heures du soir, les chefs des mécontens descendirent sur l’Et-Meïdane et envoyèrent chercher les marmites des ortas. Lever l’étendard de la révolte, c’est en Turquie faire sortir les marmites des casernes ; obéissant à je ne sais quelle idée superstitieuse, le soldat suit ce drapeau bizarre avec un dévoûment aveugle. Il se croirait frappé d’une sorte d’excommunication, s’il se séparait du kazan de sa compagnie. Les marmites du corps des armuriers furent enlevées de force et transportées avec les autres sur la place. Pendant ce temps, des crieurs se répandaient dans les rues de Constantinople appelant le peuple aux armes, des émissaires prenaient le chemin des casernes d’artillerie ; mais là vint se briser le flot de l’insurrection. Les topchis restèrent fidèles au sultan. Les galiondjis, — soldats de marine, — et les kumbaradjis, — bombardiers, — refusèrent également de s’associer au mouvement séditieux.

Les chefs des rebelles avaient espéré s’emparer du grand-vizir, du janissaire-aga, de Nedjib-Effendi. Le coup manqua par une de ces fatalités qui attendent d’ordinaire les partis condamnés. Sélim-Pacha et Nedjib-Effendi avaient passé la nuit sur la côte d’Asie. Djé-al-Eddin parvint à s’échapper par les derrières de son hôtel. Pendant que les rebelles mettaient au pillage son palais, Sélim-Pacha, averti par ses serviteurs fugitifs, se jette dans son caïque et parvient à gagner l’autre rive du Bosphore. Il dépêche son frère vers Hussein-Pacha, son intendant vers le séraskier d’Anatolie, Mohammed-Izzet, ordonnant à ces deux vizirs de se rendre au sérail et d’y amener leurs troupes. À huit heures du matin, le sultan était entouré des ulémas, des chefs militaires, des autorités de tout rang simultanément convoquées. Quelques personnages marquans étaient demeurés chez eux a occupés à prier pour le succès de sa hautesse. » Ils obéissent à un second appel ; il n’y a plus de place pour les indécis. D’un côté sont les révoltés, de l’autre les défenseurs de l’autel et du trône. La bataille se prépare : chacun y joue sa tête.

Les insurgés s’étaient concentrés sur la place de I’Et-Meïdane, dont ils avaient barricadé les abords ; leurs vieux alliés, les hammals, sont venus les y joindre. Adossée aux casernes, la rébellion