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Nizam-Djedid. Sa mort imposa un nouveau temps d’arrêt aux idées de réforme.

Mahmoud avait échappé par miracle au sort de son ministre. En faisant étrangler son frère Moustapha, l’unique fils de ce frère et quatre sultanes enceintes, il déconcerta les projets avoués des séditieux. Il restait le seul rejeton de la race d’Othman. Devenu sacré à ce titre, même pour des janissaires, on eût pu croire qu’il allait tout oser ; mais Mahmoud était un autre homme que Sélim. Avant de se heurter aux passions religieuses et à cet orgueil de l’immobilité qui fait encore le fond du caractère ottoman, il voulut, suivant la parole de son historiographe Assad-Effendi, s’assurer « un solide appui dans l’opinion publique. » Son premier soin fut de réconcilier les seymens et les Nizam-Djedid avec les janissaires. Il garda ainsi un noyau de soldats dévoués, tout en répudiant bien haut la pensée de donner suite aux innovations de Sélim. Ce fut avec l’ancien système militaire qu’il fit contre les Russes les campagnes de 1810 et de 1811, qu’il soutint la guerre en Servie, apaisa la révolte des ayans, triompha de la rébellion d’Ali et vint échouer devant la résistance inattendue des Grecs. Quand l’honneur de l’islam, un instant compromis, eut été sauvé par les Égyptiens, Mahmoud jugea le moment venu de céder au penchant qui l’entraînait à suivre l’exemple de Méhémet-Ali.

Le prophète avait dit : « Dieu enverra au commencement de chaque siècle au peuple musulman un homme dont la mission sera de régénérer la foi. » Il avait ajouté : « Chaque siècle s’ouvre par quelque catastrophe. » Le régénérateur pour le peuple turc, la catastrophe pour les janissaires, ce fut le prince pensif et silencieux, seul rameau épargné de l’arbre d’Othman, qui pendant dix-huit ans, tourmenté par la sédition, n’avait pas cessé du fond de son sérail de ruminer et de préparer sa vengeance. Depuis Louis XI, la Providence n’avait pas suscité à une société vieillie un plus impassible réformateur. Mahmoud ne connaissait ni les emportemens sanguinaires d’Ali, ni la fougue impétueuse du vice-roi de l’Égypte. C’était une de ces divinités implacables et sereines comme en adorent les peuples de l’Hindoustan. Tous ceux qui, pendant son long règne, prirent sa résignation patiente pour de la faiblesse eurent sujet de s’en repentir. Les janissaires purent impunément le braver tant qu’il n’eut pas réussi à séparer leur cause de celle des ulémas. Le jour où il les eut devant lui isolés, désavoués par les interprètes de la loi, il ne les châtia pas ; il les anéantit.

Les janissaires complotaient sur la place publique ; accomplissant la parole du Coran, Mahmoud « prépara leur perte en silence. » Il lui fallait pour cette entreprise, où déjà un sultan avait perdu