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qui est trop curieuse pour que nous ne la signalions pas. La tête n’est pas entièrement en harmonie avec l’attitude, en sorte qu’elle regarde un peu de travers et semble loucher. On dirait une tête de décapité qui n’a pas été recollée sur le tronc avec une précision suffisante ; la déviation est légère sans doute, mais elle n’en est pas moins si apparente que la duchesse la remarqua lorsque le tombeau fut dressé, et qu’elle en fut choquée comme nous-même. Ce défaut a été voulu, il n’y a pas à en douter, et il faut y voir une sorte d’allusion faite par l’artiste à la fin tragique du duc de Montmorency. Cette espièglerie funèbre d’un goût douteux et d’une imparfaite urbanité, convenons-en, peut servir à démontrer que talent n’est pas toujours synonyme de tact.

Il faut bien le dire, ce monument est plutôt grandiose que vraiment beau : il est donc loin d’être à l’abri de la critique ; mais, comme il n’est que trop fréquent, les reproches qu’on lui a faits sont précisément ceux qu’il ne mérite pas. On lui a reproché par exemple le mélange du sacré et du profane, et le choix arbitraire des figures allégoriques. Le mélange du sacré et du profane pourrait être à meilleur droit reproché à bien d’autres monumens, car il n’y a pour ainsi dire pas une œuvre de la renaissance qui ne soit marquée de ce caractère ; ici, dans ce tombeau du duc de Montmorency, il nous est impossible de voir rien de pareil. Les figures allégoriques sont au nombre de quatre, un Mars adolescent, un Hercule au repos, une Religion et une Charité ; qui ne devine que ces quatre figures doivent se diviser également entre les deux personnages du duc et de la duchesse, et qu’elles sont là pour symboliser leurs vertus respectives ? La preuve qu’il en est ainsi, c’est la distribution même de ces figures : du côté du duc, Mars, emblème de la guerre et des occupations nobles, Hercule, symbole de la force équitable ; — du côté de la duchesse, la Religion et la Charité. Mars et Hercule sont, il est vrai, des symboles païens ; mais qui ne voit que le sculpteur les a employés parce qu’ils rendaient avec plus de clarté et de précision la pensée qu’il voulait exprimer ? Ils sont là pour signifier les vertus temporelles, c’est-à-dire les forces morales qui s’appliquent plus strictement aux choses d’ici-bas, et qui sont plus particulièrement l’apanage du sexe masculin. Or la tradition païenne se prête plus aisément que le christianisme à la représentation de ces vertus temporelles. Comment demander par exemple un emblème de la guerre à une religion qui la proscrit en principe, et qui la considère non comme un des plus nobles emplois que l’homme puisse faire de sa force, mais comme un châtiment dont Dieu se sert pour venger en bloc les crimes des nations ? Il serait plus facile de lui demander un emblème de la force