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effet inauguré alors par les écoles de Bologne et de Naples, postérieures au concile de Trente, art qui semble dire aux spectateurs : Le christianisme n’est pas seulement une série de belles idées comme l’ont cru nos devanciers, c’est surtout, c’est avant tout une série de faits sanglans, cruels, douloureux, une conquête achetée par la souffrance, par le martyre, par l’austérité. C’est aussi à partir de cette époque que se multiplient sur les pierres tombales et les monumens ces emblèmes que j’ai nommés les armoiries de la mort. De cette même époque enfin date ce caractère de tristesse, ce quelque chose de monacal, et pour ainsi dire de nu et de dépouillé comme une cellule de solitaire, qui caractérise encore aujourd’hui la dévotion stricte. Nous arrêterons ici cette dissertation funèbre ; mais voilà cependant quelles séries de pensées peut faire traverser à l’esprit la contemplation d’une simple œuvre d’art placée dans le coin d’une chapelle ou d’un palais !

Après la collégiale de Notre-Dame, l’édifice de Moulins le plus intéressant par les souvenirs est l’ancien couvent de la Visitation, aujourd’hui transformé en lycée. C’est un des nombreux couvens édifiés du vivant même et par les soins de Mme de Chantal, l’amie de saint François de Sales et la fondatrice de l’ordre. Là s’est éteinte cette noble personne entre les bras de Félicia Orsini, veuve du duc Henri de Montmorency, et son cœur repose dans la chapelle à côté de celui de l’amie qu’elle nomma pour lui succéder dans la direction de la communauté. Ce n’est point cependant de Mme de Chantal que nous voulons nous occuper aujourd’hui ; nous rencontrerons son souvenir en tant d’autres lieux, si nous continuons ces excursions dans la France de l’est ; nous ne rencontrerons nulle part ailleurs au contraire celle qui reçut son dernier soupir. Mme de Montmorency appartient bien plus étroitement que Mme de Chantal à Moulins, dont elle est deux fois bienfaitrice, et par sa mémoire, qui est l’attrait romanesque de cette ville, et par le mausolée qu’elle y a laissé, et qui en est aujourd’hui la décoration capitale. C’est à Moulins qu’elle fut conduite, et nous dirions dans notre langage administratif moderne internée, immédiatement après que son mari, dernier des Montmorency, eût été décapité à Toulouse en exécution de la plus cruelle, mais non pas de la plus injuste des sentences. Elle y vécut deux ans enfermée au château ducal dans un appartement transformé en prison pour cette triste circonstance : au bout de ces deux ans, elle fut rendue à la liberté ; mais elle ne l’était pas et ne pouvait pas l’être au bonheur, et, sentant bien qu’il n’est plus de patrie pour les âmes blessées de malheurs pareils au sien, qu’il est désormais indifférent pour elles d’habiter ici ou là elle adopta la ville qui lui avait servi de prison, et ne voulut plus en sortir. Le couvent de la Visitation