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fleur, le ferment d’aigreur dans tout parfum, le crime dont est faite toute joie. Un livre admirable, le Pilgrim’s progress, demeure pour jamais le type de cette littérature religieuse et l’expression accomplie de ces terreurs.

Reste la part du catholicisme ; elle a été la plus durable des trois. Les fantaisies lugubres de la renaissance ont eu le sort d’une mode passagère, la période de terreur morale du protestantisme s’est éteinte comme s’éteint une épidémie ; mais les images et les memento redoutables de l’inévitable fin, multipliés par le catholicisme devant les yeux des fidèles, ne se sont ni effacés ni diminués, et dureront désormais autant que cette église. Chose curieuse, au moment même où le protestantisme lançait dans les âmes les sombres visions que nous avons essayé de décrire, une crise analogue éclatait au sein du catholicisme. Tiré de sa longue sécurité par le coup de foudre de la réforme, il se repentit de ses complaisances pour tout ce qui était vie extérieure, et se résolut à en ramener les âmes et à les faire rentrer dans le strict christianisme. De là ce puissant appel à la vie intérieure qui, dans la dernière moitié du XVIe siècle, multiplia les créations religieuses et les méthodes d’édification et de piété. Ce mouvement, dont le signal fut donné par le concile de Trente, secondé par les initiatives ardentes d’Ignace de Loyola, de sainte Thérèse, de saint Charles Borromée, aboutit en peu de temps à une véritable réforme du catholicisme qui frappa plus encore peut-être sur la renaissance que sur le protestantisme. En jetant son regard sur l’état des esprits, l’église s’aperçut que le danger était moins encore dans la révolte que dans le païen orgueil de vivre qui s’était emparé du monde au sortir du moyen âge, et par une série de coups d’état de génie, elle arrêta et refoula cette expansion extérieure où l’âme était heureuse de s’oublier. La pensée de la fin dernière fut le grand moyen moral qu’elle appela à son aide pour cette œuvre de réformation. « Puisque tu négliges ton âme, dit-elle à l’homme, regarde un peu ce que sera tantôt cette chair délicate à laquelle tu la sacrifies, et pour laquelle tu ne crains pas de commettre tant de crimes. Pense à la mort, et tu penseras au jugement ; pense au cadavre que tu seras, et tu y reconnaîtras l’image de la dissolution que tu portes en toi. » Voilà l’idée-mère d’Ignace de Loyola et des autres réformateurs catholiques de la seconde moitié du XVIe siècle. Cette idée robuste et simple porta coup comme une massue assénée droit et fructifia avec une rapidité singulière. Tout en fut modifié, arts, mœurs, pratiques religieuses. Un des historiens de la papauté, Léopold Ranke, a très finement observé que c’est à partir de cette époque que les tableaux de martyrs se sont multipliés, tandis que dans l’âge précédent ils apparaissent à peine. Un art véhément, dramatique, farouche, est en