Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comment j’avais rencontré à Saint-Florentin, en Bourgogne, une verrière où la création du monde est présentée sous la forme d’une opération de magie qui reporte la pensée vers le platonisme de la renaissance : la verrière de Notre-Dame de Moulins me semble de même ordre. Elle cache incontestablement quelqu’une des hardiesses théologiques qui fermentaient confusément à l’approche de la réforme et au lendemain du grand schisme et de la guerre des hussites, et s’il est vrai que quelques-unes de ces compositions aient été dessinées par Albert Dürer ou par des artistes allemands de son époque, le fait n’a plus rien que de très explicable. A Souvigny, nous rencontrerons une autre de ces audaces dissimulées de la renaissance encore plus frappante que celle-là


II. — UNE SCULPTURE FUNEBRE DE NOTRE-DAME DE MOULINS. — LE TOMBEAU DU DUC DE MONTMORENCY.

Dans la même chapelle que cette curieuse verrière se trouve une autre œuvre d’art d’une repoussante vérité, mais bien remarquable aussi comme expression d’un des modes de sentimens de la renaissance. C’est une sculpture enfermée dans une niche formant tombeau et représentant un cadavre en putréfaction. Était-ce le tombeau d’un personnage dont le nom est oublié, ou bien une représentation générale de l& mort servant de bouche et d’ornement à la porte d’un caveau mortuaire ? Nous pencherions plus volontiers vers la dernière que vers la première de ces deux opinions, car l’inscription latine qui se lit sur la niche de marbre offre ce même caractère sentencieusement sinistre qui se rencontre sur les portes des caveaux funèbres des églises de la fin du moyen âge. J’ai négligé de relever cette inscription, mais le texte est à peu de chose près le suivant : olim formoso corpore fui qui nunc pulvis et putris sum ; tu qui nunc vivis, cras mihi similis eris ; « je fus autrefois d’un beau corps, moi qui maintenant suis poussière, et pourriture ; toi qui vis aujourd’hui tu seras demain semblable à moi. » L’inscription, comme on le voit, a pour but de rappeler d’une manière générale le fait universel de la mort, et non pas le souvenir d’un mort particulier. La date de ce monument est 1557, c’est-à-dire l’époque du plein épanouissement de la renaissance parmi nous.

L’œuvre, d’une exécution remarquable, est affreuse, mais non choquante, repoussante, mais sans faux goût. L’artiste s’est montré, comme la mort elle-même, sans ménagemens et sans pudeur. L’image de la hideuse réalité qui nous attend tous s’étale là dans sa plus complète horreur. Les chairs rongées tombent en loques comme un vêtement piqué de mites et découvrent ici les muscles, là les os, ailleurs les viscères ; la putréfaction, oubliant