Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe, et lit distinctement : Allah est Allah, et il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah ! Les prélats qui s’étaient revêtus de cette chape avaient accompli les cérémonies de la religion chrétienne en portant sur leurs épaules, sans le savoir, la formule par excellence de la foi musulmane. Il me semble que cette verrière est quelque chose d’analogue, et que la cathédrale de Moulins compte parmi ses parures un ornement d’origine singulièrement hérétique. Tous les sens que la réflexion peut trouver à cette verrière sont hétérodoxes à des degrés divers. Peut-être l’artiste, animé d’une hardiesse insolente, a-t-il voulu dire : Pourquoi le Christ a-t-il une telle gloire alors que tant d’autres, restés plus obscurs ou même inconnus, ont subi le même sort ? Est-il donc le seul qui ait été flagellé et mis en croix ? Peut-être encore, et plus probablement, a-t-il voulu insinuer une doctrine d’une philosophie moins brutale, moins négatrice, mais tout aussi peu orthodoxe et encore plus dangereuse. Il n’y a point seulement un Christ, veut nous dire peut-être cette verrière, il y en a un grand nombre ; le Christ ne s’est pas incarné une seule fois à un moment de la durée, il s’est incarné à tous les momens de la durée, il s’incarne à l’heure présente, il s’incarnera dans les temps à venir. Toutes les fois qu’une grande âme venue au monde souffre pour rester fidèle aux lois non promulguées par les hommes, mais écrites dans le ciel, pour s’efforcer de modeler les royaumes du monde sur le patron du royaume spirituel, l’histoire du Christ se renouvelle. Si par hasard cette interprétation était la vraie, cette verrière de la cathédrale de Moulins contiendrait une théologie aussi audacieuse que celle du docteur Strauss. A force de chercher cependant, on peut lui découvrir un troisième sens plus modeste et plus voisin de l’orthodoxie : le martyre du Christ comme une semence féconde va se multiplier à l’infini ; des milliers d’autres seront comme lui flagellés, comme lui mis en croix, et vont être unis à sa gloire par la souffrance, comme ils étaient déjà unis à son âme par la foi. Quoi qu’il en soit de ces diverses interprétations, dont il se peut fort bien qu’aucune ne soit la véritable, il est de toute évidence que cette verrière contient un sens ésotérique qu’il s’agit de deviner. Un tel fait n’a rien qui doive étonner outre mesure ; ce qui serait extraordinaire, c’est qu’il ne se fût jamais rien introduit d’hétérogène dans une institution aussi vaste que l’église, et qui a vécu tant de siècles. L’église a vu se succéder tant de systèmes, tant de modes d’esprit, tant de courans moraux divers ! La renaissance est bien parvenue à y introduire ses plus païennes sensualités et ses plus fantasques caprices ; comment ne serait-elle pas parvenue à y introduire, dans les momens où la surveillance était peu sévère, quelques-unes de ses audaces philosophiques ? J’ai déjà dit