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fer à l’église Notre-Dame, voilà la nappe d’eau supérieure ; de ce point, la ville, rencontrant une pente rapide, semble comme se précipiter pour retrouver au plus vite un terrain égal, voilà la chute ; la vaste place du marché et le quartier qui se dirige au pont de l’Allier, voilà le bassin inférieur. De beaux édifices qui n’ont jamais beaucoup fait parler d’eux et qui méritaient mieux que leur célébrité modeste, une préfecture fort cossue, hôtel du dernier siècle, un débris charmant du somptueux palais des ducs de Bourbon, une ravissante cathédrale restée inachevée, dernier legs de l’art gothique agonisant à la jeune renaissance, un vieux beffroi, une remarquable église moderne, qui fait le plus grand honneur à son architecte, le regrettable M. Lassus, l’ancien couvent de la Visitation de Mme de Chantal et de Félicia Orsini, duchesse de Montmorency, distribués et semés comme des points lumineux sur toute l’étendue de ce plan légèrement bizarre, n’en laissent aucune partie entièrement sans intérêt. N’y eût-il d’ailleurs à Moulins aucun de ces monumens qu’il vaudrait encore la peine de s’y arrêter, rien que pour se donner le plaisir d’une promenade sous l’avenue de vieux platanes qui mène du chemin de fer à l’entrée de la ville.

Le Bourbonnais, pour le dire en passant, est vraiment la patrie des beaux platanes : il faut croire qu’à une époque précédente une mode en l’honneur de ces arbres superbes a sévi parmi les diverses édilités de la province, car je les rencontre en tous lieux. A Vichy, ils forment une promenade du plus majestueux aspect ; à Cusset, ils donnent à l’entrée de la petite ville un air de respectable sévérité ; mais les plus beaux sont ceux qui forment la longue avenue de Moulins. Ces arbres au tronc robuste et bien pris, lisse et sans nœuds ni rugosités d’aucune sorte, qui, semblant dédaigner comme une mièvrerie populacière le charme et les caprices de la végétation, relèguent tout à leur sommet leur verdure pour s’en faire une hautaine couronne, pareils sous la robe blanche aux reflets verts de leur écorce à une rangée de sénateurs vénérables, vous introduisent dans la ville avec une gravité singulière. Quand on a suivi cette longue avenue, on se trouve tout prédisposé aux sentimens sérieux qui conviennent au visiteur des choses d’autrefois, — petit, mais intéressant résultat moral qu’on ne saurait demander à aucune autre variété d’arbres. Le marronnier en effet, avec la richesse de son feuillage et de ses grappes épaisses de fleurs, concentrant exclusivement la pensée sur des idées de luxe et de faste, convient surtout aux avenues des grands parcs, des jardins royaux et des villas seigneuriales. Le peuplier, à la mélancolie et à l’élégance agrestes, forme, il est vrai, d’admirables avenues ; mais ces avenues accompagnent mieux le départ qu’elles ne saluent l’arrivée du voyageur, et lui sont une escorte plus naturelle pour rentrer