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essentiels le droit de répression et celui d’intimidation (et je pense aussi le devoir pour le juge de graduer la peine selon la criminalité), je me demande, ici encore, en quoi un droit pareil diffère du droit de punir. M. Franck le repousse pour ce motif, que la punition ne lui paraît être au fond que l’expiation. Or l’expiation, c’est le mal rétribué par le mal dans l’intérêt de l’ordre universel, c’est l’harmonie que notre raison nous montre comme nécessaire entre le mal moral et la souffrance. On nie ce droit à la société ; on soutient que le principe d’expiation ne tombe pas sous la puissance humaine, sous la loi des hommes ; mais quel est donc parmi les défenseurs modernes du droit de punir, sauf Joseph de Maistre et à un autre point de vue Kant, celui qui a confondu ce droit avec l’expiation dans le sens antique et rigoureux du mot ? Est-ce M. de Broglie, que l’on semble parfois accuser de cette confusion dans le beau travail que nous avons déjà cité ? Personne au contraire n’a mieux signalé que cet auteur le danger de confondre l’expiation et la punition. « Bien qu’identiques en substance (par leur origine commune dans l’idée de justice), elles sont différentes dans le but. C’est pour avoir méconnu cette différence que les anciens législateurs faisaient intervenir la pénalité non point dans le dessein de prévenir le crime, mais dans celui d’égaler les souffrances à la perversité réelle ou prétendue de son action. Cette erreur est la cause des atrocités dont les anciennes législations sont pleines… » Et revenant avec insistance sur les caractères et la vraie portée de la punition, « elle n’est point chargée, dit-il, de régler le compte de l’homme avec la loi morale, ni d’égaler les souffrances à la perversité des actes. Qu’elle prévienne les plus importans de ces actes pervers, qu’elle les prévienne au degré suffisant pour le maintien de la paix, pour l’essor du perfectionnement individuel et social, voilà son œuvre. »

Est-ce M. Cousin par hasard qui aurait commis quelque confusion analogue entre ces deux choses qui doivent rester distinctes ? Mais dans son admirable argument du Gorgias, malgré l’entraînement du génie de Platon, qu’il traduit et qu’il commente, il résiste et se borne à développer ce principe de tout spiritualisme social, que la justice est le fondement véritable de la peine, que l’utilité n’en est que la conséquence. Prenant à partie l’empirisme et le déterminisme de son temps, « les publicistes, s’écrie-t-il, cherchent encore le fondement de la pénalité. Ceux-ci, qui se croient de grands politiques, le trouvent dans l’utilité de la peine pour ceux qui en sont les témoins, et qu’elle détourne du crime par la terreur de sa menace et sa vertu préventive. C’est bien là un des effets de la pénalité ; mais ce n’est pas là son fondement, car la peine, en frappant l’innocent, produirait autant et plus de terreur et serait tout aussi préventive. — Ceux-là dans leurs prétentions à l’humanité, ne