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M. Fouillée fait en apparence, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, de très larges concessions à la doctrine adverse, et je ne m’étonne pas que des critiques malavisés s’y soient mépris. Il est d’accord avec les déterministes pour repousser absolument et sans réserve le nom et l’idée de l’expiation ; il est d’accord aussi avec eux pour fonder la pénalité sur le principe de la conservation sociale. Le tout est de bien entendre sa pensée, dans son vrai sens et dans sa mesure. Le principe de l’expiation, dit-il, sur lequel on fondait autrefois la pénalité, suppose deux termes, le libre arbitre et le bien en soi, qui sont pour ainsi dire deux absolus. L’introduction de ces idées théologiques dans les lois sociales ne pouvait produire que les plus fâcheux résultats. Les juges humains, parlant au nom de Dieu, croyaient devoir pénétrer et dans l’absolu de la volonté individuelle, pour en mesurer la malignité, et dans l’absolu de la volonté divine, pour en appliquer les justes décrets ; en outre l’expiation, et par suite la pénalité, devant être proportionnelle au crime, on était conduit à inventer des variétés de peines et des raffinemens de supplice. Nous comprenons aujourd’hui que, si ces deux absolus existent, ils nous sont du moins inaccessibles. — Il n’y a donc pas d’autres raisons de la pénalité que des raisons de défense sociale ; or ces raisons peuvent être admises, en apparence au moins, par les partisans comme par les adversaires du déterminisme. A vrai dire, la société n’a le droit ni de faire expier un crime par le coupable, ni même dans la rigueur du mot, de le punir. Elle n’a le droit que de se défendre.

Nous verrons tout à l’heure s’il n’y a pas quelque chose d’essentiel à modifier dans cette manière de poser la question et de la résoudre ; mais ce qu’il faut bien constater à l’honneur de M. Fouillée, c’est que les concessions qu’il semble faire aux déterministes sont plutôt de forme que de fond. Il se distingue très nettement d’eux par l’idée du droit qu’il introduit dans le problème, et qui le renouvelle complètement. C’est là que se révèle la véritable attitude de l’auteur, à égale distance des théories transcendantes ou mystiques sur la pénalité et de l’empirisme impuissant à créer la notion du droit. — La pénalité ne se légitime pour les utilitaires et les matérialistes que par l’intérêt majeur de la défense sociale. M. Fouillée demande avec raison si cet intérêt majeur est juste, et c’est devant cette question qu’hésite et recule toute doctrine empirique. Quand on a montré et démontré cet intérêt de conservation ou de défense, reste à savoir s’il constitue un véritable droit. C’est précisément à ce point de divergence des deux routes que M. Fouillée se sépare de ses auxiliaires d’un moment. D’accord avec eux sur la question des faits et des intérêts sociaux, il déclare qu’il ne peut plus s’accorder au-delà les faits et les intérêts sociaux ne pouvant pas,