Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les bras de ses officiers, au moment où les débris de son équipage, menacés de couler bas, allaient amener leur pavillon. Nelson ne voulut pas que les restes de ce glorieux vaincu fussent jetés à la mer, et ils furent inhumés par les Anglais eux-mêmes dans l’église des dominicains de Syracuse.

Saint-Valery-était au moyen âge la capitale du Vimeux : dans ce petit pays, comme dans le Ponthieu, plusieurs villages, dont quelques-uns n’avaient pas plus de 400 à 500 habitans, étaient érigés en commune dès la fin du XIIe siècle, et partout où il y avait une charte d’affranchissement les plus modestes hameaux eux-mêmes prenaient le nom de ville, parce qu’ils s’élevaient par la liberté au même niveau que les grands centres. Si faible que fût leur population, les communes rurales[1] du Vimeux, comme toutes celles de la Picardie, formaient de petits états, ou plutôt des républiques qui avaient chacune une assemblée législative sous le nom d’échevinage, un chef du pouvoir exécutif sous le nom de maïeur, un budget sous le nom de compte des deniers de la ville, et une petite armée sous le nom de milice communale. Ce n’est pas l’un des côtés les moins curieux de notre histoire que de voir, par leur exemple, comment de petites villes et de simples paroisses rurales, perdues au milieu de l’immense morcellement du moyen âge, ont contribué à la fondation de l’unité française, et combien était libre et fortement organisé, dans la monarchie absolue du droit divin, le gouvernement des citoyens par eux-mêmes.

Malgré ses fueros, le Vimeux était une région profondément féodale, et on y trouvait à côté des communes un grand nombre de seigneuries qui jouissaient de la haute justice, c’est-à-dire du privilège de faire pendre les manans pour des délits qui entraîneraient à peine aujourd’hui quelques jours de prison, et d’une foule d’autres droits qui rappelaient les plus tristes jours de la servitude, y compris le honteux droit de marquette, que les sires de Gamaches s’étaient réservé dans le village de Laleu, près d’Airaines, comme l’avaient fait d’autres seigneurs picards, entre autres les bers d’Auxy et le sire de Drucat[2]. Un seul témoignage de la puissance féodale est resté debout dans ces plaines fertiles que le champart, le terrage, le vif herbage, le service à ronsin, les corvées et d’autres

  1. L’existence des petites communes rurales est un fait exceptionnel dans notre histoire; il ne se rencontre guère que dans la Picardie.
  2. Le droit de marquette, dit aussi droit du seigneur, a donné lieu dans ces dernières années à une vive polémique. Quelques écrivains, entre autres M. Veuillot, ont prétendu qu’il n’avait jamais été mis en pratique, et qu’il était purement comminatoire; mais il est hors de doute que dans une dizaine de localités de la Picardie les seigneurs l’ont rigoureusement exercé.