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une énergie particulière pour détourner de mal faire. D’ailleurs, pourrions-nous dire à M. Mill, en raisonnant comme vous le faites sur la conduite future de cet homme, vous supposez dans son avenir ce que vous supprimez dans son passé, la force de donner la prépondérance aux bons motifs en s’aidant du souvenir de son infortune, et cela ressemble à s’y méprendre à la liberté de choisir. Vous évitez en vain ce mot qui poursuit votre pensée ; l’idée, sinon le mot, revient dans tous vos raisonnemens ; elle y est partout invisible et présente.

La peine ne pourrait être vraiment utile au malfaiteur et profitable à sa conduite future qu’à une condition que vous supprimez, à la condition qu’au moment où il est puni il sente qu’il reçoit une peine méritée, qu’il en reconnaisse la justice et qu’il l’accepte. À ce prix, il trouvera dans le châtiment une occasion naturelle de s’incliner devant les lois sociales qu’il a violées, de donner un autre cours à ses idées, de dissiper les ténèbres volontaires où il étouffait sa conscience et de prendre pour l’avenir des résolutions salutaires qui peuvent devenir le point de départ d’une destinée nouvelle. Dans le cas contraire, si vous châtiez un coupable qui l’a été sans le vouloir librement, s’il a le sentiment de la nécessité qu’il a subie et que vous poursuivez impitoyablement en lui, prenez garde, vous produirez chez lui une indignation, une fureur nouvelle, la haine implacable contre la société injuste qui le frappe. Vous aurez fait un révolté, l’ennemi irréconciliable d’un ordre social au profit duquel on le sacrifie. — Cela même peut servir de preuve très forte en faveur du libre arbitre, que les cas de révolte contre la peine soient extrêmement rares chez les malfaiteurs. Il n’arrive presque jamais qu’un coupable récuse la légitimité de la sentence prononcée, après que son crime est établi. Il nie le crime, il ne nie pas la peine, tant est forte la corrélation qui s’est établie dans sa conscience entre la peine et le forfait. Il ne lui vient pas naturellement à l’esprit de détruire cette corrélation et de la nier. Pour lui, l’unique question est d’échapper à la punition en échappant à la preuve du crime ; tout le procès est là S’il s’avoue coupable ou s’il est reconnu tel, il reconnaît implicitement que le reste découle de soi, comme une conséquence de son principe.

Reconnaître le châtiment légitime, telle est donc la condition préalable pour que le coupable en retire un profit quelconque. M. Mill a bien prévu l’objection ; quelle objection n’a-t-il pas prévue dans ce spécimen étonnant de dialectique sur le libre arbitre ! mais sa réponse nous a semblé faible. — Oui, sans doute, dit-il, un déterministe devrait sentir de l’injustice aux punitions qu’on lui inflige pour ses mauvaises actions, s’il ne pouvait réellement pas s’empêcher d’agir comme il l’a fait, s’il s’est trouvé sous le coup d’une contrainte