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evés aux Anglais[1] pendant ces guerres, Lejoille eut l’honneur d’en prendre un, le Berwick, de 74 canons, qu’il contraignit, avec une seule frégate, d’amener ses couleurs le 7 mars 1795. En 1798, au combat d’Aboukir, il parvint à percer la ligne anglaise, et non-seulement il sauva son vaisseau, le Généreux, qui avait vaillamment lutté pendant la bataille, mais il captura, en revenant à Toulon, le Léander, de 50 canons, que Nelson avait envoyé en Angleterre porter la nouvelle de sa victoire. Le contre-amiral Perrée, d’abord simple mousse dans la marine marchande au début de sa carrière, fut appelé en 1793 au commandement de la Proserpine, et dans une seule croisière il s’empara d’une frégate de 32 canons, coula ou brûla 63 navires de commerce; en 1795, il alla détruire les établissemens anglais sur la côte d’Afrique, et prit ensuite la part la plus active à l’expédition d’Egypte. Ce fut lui qui commanda sur le Nil la flottille chargée d’appuyer les opérations de l’armée de terre, et Bonaparte, pour reconnaître les services qu’il avait rendus pendant la campagne, lui décerna un sabre d’honneur qui portait le nom de Chebreiss, inscrit sur l’un des côtés de la lame. Le 10 février 1800, il appareilla de Toulon pour ravitailler Malte ; mais il trouva cette île bloquée par une flotte anglaise. Après avoir fait aux bâtimens de la division le signal de prendre chasse, il eut à lutter avec un seul vaisseau, le Généreux, contre quatre vaisseaux anglais, dont l’un, le Foudroyant, était monté par Nelson. Blessé au-dessus de l’œil gauche au commencement de l’action et frappé bientôt d’un boulet qui lui emporta la cuisse droite, Perrée ne voulut point quitter son banc de quart, et rendit le dernier soupir

  1. Il est triste d’avoir à constater un chiffre aussi minime; mais ce chiffre est exact. Les Anglais de leur côté nous ont pris 106 navires de haut bord, de 74 à 110 canons; cependant, lorsqu’il s’agit des prises faites de part et d’autre sur la marine marchande, la proportion se renverse complètement. Du 1er février 1793 au 31 décembre 1795, les Français ont enlevé au commerce anglais 2,099 navires, et les Anglais, durant le même laps de temps, ne nous en ont enlevé que 319, soit, au profit de la France, 1,461 navires représentant une somme de 400 millions. Quant à nos désastres maritimes, ils ont tenu, comme dans la dernière guerre, à l’infériorité de notre armement. Ainsi que l’a dit le capitaine Lejoille, nos vaisseaux, au lieu d’être montés par des marins, étaient montés par des paysans. Les exercices de canonnage étaient complètement négligés. L’amiral Linois, qui battit une flotte anglaise devant Algésiras, fut à peu près le seul de nos amiraux qui ait prêté une attention soutenue à cette branche si importante du service. Grâce à sa prévoyante sollicitude, il a pu, dans le combat que nous venons de citer, mettre en canelle, comme nous l’avons entendu dire à un matelot qui avait servi sous ses ordres, six vaisseaux anglais avec trois vaisseaux seulement. Napoléon, en fait de guerre maritime, a commis les mêmes fautes que M. Gambetta en fait de guerre continentale ; il a cru que l’on pouvait remporter des victoires avec des mobilisés sur un ennemi dont l’organisation était de beaucoup supérieure.