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impérieuses de leurs doctrines et de se mettre d’accord, au moins pour les applications, avec la conscience publique. D’autre part, pour ceux même qui maintiennent intacte la responsabilité morale comme l’unique soutien et la condition de la responsabilité sociale, il Y a lieu d’examiner si la question du droit de punir ne doit pas être posée dans des termes plus exacts, et analysée de plus près qu’elle ne l’a été dans ces derniers temps. C’est ce que nous essaierons de faire après avoir répondu aux diverses théories qui nient absolument ce droit ou qui l’interprètent d’une manière illusoire. Peut-être est-ce la meilleure manière de le défendre que de le bien définir, c’est-à-dire d’en montrer les éléments et de la limiter. Il en est de ce droit comme de beaucoup d’autres que l’on compromet de deux manières en les altérant ou les exagérant, dans les deux cas en prétendant faire de chacun de ces droits quelque chose de simple et d’absolu. C’est surtout dans cet ordre de problèmes qu’il est vrai de dire qu’une bonne définition est la meilleure des démonstrations.


I

Le matérialisme contemporain n’a pas reculé devant la thèse extrême de l’irresponsabilité absolue. La volonté n’est pour lui qu’une des causes occultes par lesquelles nous voilons notre ignorance. Au fond, si ce mot signifie quelque chose, il exprime un certain mode des actes réflexes, accompagné d’un certain degré de sensation Cette explication et d’autres analogues du mécanisme de la volonté sont trop connues pour qu’il soit de quelque intérêt d’y insister ; elles ont produit toutes leurs conséquences. Ce qu’on appelle le bien et le mal, dit M. Moleschott, c’est ce qui est contraire ou favorable aux exigences de l’espèce à un moment donné de son histoire. A vrai dire, ce ne sont pas des qualifications morales, ce sont des qualifications scientifiques de phénomènes naturels, des manières de les classer suivant qu’ils entrent dans le courant de la civilisation ou qu’ils le contrarient. Ainsi disparaissent successivement de la vie humaine l’initiative, la causalité, le sentiment ou bien moral, l’obligation, l’imputabilité, absorbés tour à tour par la nécessité physique dont rien ne peut suspendre un instant le joug ni briser la chaîne. Celui qui se sera pénétré une fois de cette vérité, plus humaine, à ce que l’on nous assure, que toutes nos illusions spiritualistes, celui-là osera déclarer enfin, à la face des vieilles églises et des vieilles écoles, l’entière irresponsabilité de l’homme : il osera appliquer dans ses dernières conséquences cette pensée, que Mme de Staël n’exprimait que dans un sens restreint et avec une tendresse presque mystique : « tout comprendre, c’est