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l’inviter à s’arrêter. » Malheureusement le récit dont on voulait douter par respect pour le cabinet de Londres était de la plus entière exactitude. M. Guizot n’a pas jugé que ce détail fût indigne de figurer dans ses Mémoires. On y voit comment, en l’absence de M. Bois-le-Comte, un jeune attaché de la légation française, M. de Massignac, réussit très habilement à faire parler M. Peel, le représentant de l’Angleterre. M. de Zayas, ministre d’Espagne à Berne, ayant eu occasion de lui dire qu’il regardait le fait comme certain, M. de Massignac entreprit de faire avouer la chose à M. Peel, et, voulant avoir un témoin, il fit en sorte que M. de Zayas assistât à cette conversation. Voici la fin du rapport de M. de Massignac à M. Bois-le-Comte, tel que le donne M. Guizot : « Nous parlions avec Zayas et Peel des affaires suisses et de la manière dont les différens cabinets les jugeaient. — Aucun cabinet de l’Europe, excepté celui de l’Angleterre, n’a compris les affaires de Suisse, a dit M. Peel, et lord Palmerston a cessé de les comprendre lorsqu’il a approuvé la note identique. — Avouez au moins, lui dis-je, qu’il a fait une belle fin, et que vous nous avez joué un tour en pressant les événemens. — Il se tut. J’ajoutai : — Pourquoi faire le mystérieux ? Après une partie, on peut bien dire le jeu qu’on a joué. — Eh bien ! c’est vrai, dit-il alors, j’ai fait dire au général Dufour d’en finir vite. — je regardai M. de Zayas pour constater ces paroles. Son regard me cherchait aussi[1]. » L’anecdote était fort instructive dans le récit de M. Guizot, elle devient encore plus piquante lorsqu’on a lu les lettres du roi de Prusse. En vérité, le moment était bien choisi pour se défier de l’astuce de la France, et pour adresser de si touchans appels au good old honest John Bull en personne !

A part ces détails, où la candeur et les préventions de Frédéric-Guillaume IV l’avaient exposé à de si étranges méprises, qui donc en somme avait le mieux vu la vérité générale dans cette affaire du Sonderbund ? On aperçoit d’un côté avec des nuances diverses, il est vrai, avec des vues plus ou moins intéressées, mais avec une égale horreur du radicalisme, le roi de Prusse, le prince de Metternich, M. Guizot, M. le duc de Broglie, M. Bois-le-Comte, — je cite seulement les personnes qui ont eu occasion de faire connaître leurs sentimens dans cette affaire, et, sans tenir compte des situations très différentes qu’elles occupaient, je les nomme ensemble comme formant un même groupe d’opinions. De l’autre côté, voici lord Palmerston, et avec lui, chose singulière, l’ami, le confident intime, le représentant officiel du roi de Prusse, M. le baron de

  1. Voyez M. Guizot, Mémoires, t. VIII, p. 507. — Avant que M. Guizot insérât dans ses Mémoires ces curieux détails, M. le comte d’Haussonville les avait déjà publiés ici d’après les rapports de M. Bois-le-Comte. Voyez, dans la Revue du 1er février 1850, l’étude déjà citée : De la politique extérieure de la France depuis 1830.