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Il avait, nous l’avons dit, d’excellentes raisons pour se défier des empressemens de l’Autriche. Or, si l’Autriche se montrait « inquiète et impatiente, » le roi de Prusse, avec son idée chevaleresque des devoirs que lui imposait son titre de prince souverain de Neufchatel, devait être encore bien plus pressé d’agir. Il avait sans doute laissé percer des menaces dans ses paroles, il avait tenu un langage auquel il ne pouvait plus conformer sa conduite, et Bunsen, qui avait pu juger à Londres du fâcheux effet de ces imprudences, avait loyalement averti son souverain. C’est de cela qu’il s’excuse ; puis, passant de la justification à des insistances nouvelles, il demande à Bunsen si l’Angleterre peut bien hésiter entre Ochsenbein, le chef des corps-francs, et Frédéric-Guillaume IV, le plus fidèle, le plus sûr allié de la nation anglaise. Enfin, sentant bien que ce sont là d’inutiles paroles et que la révolution de Suisse est définitivement accomplie, il cesse de s’excuser, il se redresse, il lance ces fières paroles aux cabinets européens qui n’ont pas redouté autant que lui l’influence du radicalisme helvétique : « répétez ceci hardiment à qui vous voudrez ; oui, j’ai fait un coup de tête après en avoir mûrement examiné et froidement calculé toutes les conséquences ; ce coup de tête, je l’ai fait : premièrement pour obéir à ma conscience de prince, en second lieu parce que je prévoyais ou pressentais que l’affaire de Neufchatel, dans sa situation présente, après la déroute du Sonderbund, serait peut-être la seule prise offerte aux grandes puissances pour ressaisir la question suisse en vue du salut de l’Europe. Si la puissante Angleterre, l’astucieuse France, la sénile Autriche, la lointaine Russie nous laissent tomber, mon Neufchatel et moi, je sais du moins que la honte de cette histoire ne nous atteindra point, ni moi lui mon Neufchatel ; ma compromission sera ma gloire. »

Voilà sans doute un fier langage, mais quelle candeur et, s’il est permis de le dire, quelle duperie ! Le roi Frédéric-Guillaume IV ne craint pas d’affirmer que la politique de la France a été astucieuse dans l’affaire suisse. Or cette politique, qui au fond était d’accord avec les sentimens du roi de Prusse sur les dangers de la confédération helvétique et de toute l’Europe, a été constamment aussi franche que droite, aussi sincère qu’habile. Dès les premiers jours de la crise, près de trois ans avant la défaite du Sonderbund, M. Guizot, faisant connaître ses sympathies pour les cantons opprimés, indiquait en même temps à quelles conditions, dans quel esprit, dans quelle mesure la France pourrait admettre l’intervention militaire des grandes puissances. C’était la raison même et la raison se déclarant sans détour. Pendant ce temps-là que faisait le good old honest John Bull en personne, comme l’appelle Frédéric-Guillaume IV ? Au lieu de se laisser toucher par les effusions du roi de