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l’heure où je reconnaîtrai clairement que le Seigneur notre Dieu abandonne une fois de plus à leur folie les souverains de l’Europe, ou bien au contraire, et Dieu le veuille, jusqu’à l’heure où je reconnaîtrai qu’il les inspire enfin de son esprit. De quoi s’agit-il en Suisse, et pour nous et pour les grandes puissances ? Il ne s’agit pas de ce qui est conforme ou contraire au droit de la confédération, il ne s’agit pas des catholiques et des protestans, il ne s’agit pas de savoir si la constitution est menacée par tel ou tel parti, si elle est faussement interprétée, il ne s’agit pas de prévenir une guerre civile locale ; non, en aucune manière il ne s’agit de ces choses-là il s’agit d’une seule question que j’appelle l’épidémie du radicalisme. Le radicalisme, c’est-à-dire la secte qui a scientifiquement rompu avec le christianisme, avec Dieu, avec tout droit établi, avec toutes les lois divines et humaines, cette secte-là en Suisse, va-t-elle, oui ou non, s’emparer de la souveraineté par le meurtre, à travers le sang, à travers les larmes, et mettre en péril l’Europe entière ? Voilà ce dont il s’agit. Cette pensée, qui est la mienne, doit être aussi la vôtre ; elle doit être celle de tous mes représentans auprès des grandes puissances : à cette condition seulement, vous et eux, vous agirez efficacement dans le sens de ma politique et de ma volonté. Il est de toute évidence à mes yeux que la victoire de la secte sans Dieu et sans droit, dont les partisans augmentent de jour en jour (comme la boue dans les rues les jours de pluie), particulièrement en Allemagne, et surtout dans les villes d’Allemagne, — il est, dis-je, de toute évidence à mes yeux que cette victoire établira un puissant foyer de contagion pour l’Allemagne, l’Italie, la France, un vrai foyer d’infection dont l’influence sera incalculable et effroyable. C’est pourquoi je tiens que s’attacher obstinément au principe de non-intervention, c’est se jeter à plat ventre dans la boue ; oui, c’est exactement ce que ferait l’amiral qui, devant la flotte ennemie, amènerait son pavillon, ou le commandant de place qui, entouré d’assaillans, capitulerait. C’est exactement la même chose que de s’engager dans une querelle en se résignant d’avance aux soufflets. Le cabinet anglais ne considère pas la situation des choses au point de vue des dangers que court le droit européen, cela est parfaitement clair ; quant à vous, très cher Bunsen, la voyez-vous ainsi que je la vois ? Cela ne m’est pas clair du tout. C’est pourquoi je vous écris, — car vous devez, il le faut, vous devez voir les choses comme moi, et agir en conséquence, brûlant du feu sacré, parlant, conseillant, n’ayant ni repos ni cesse, aussi longtemps que durera l’affaire.

« Un grand mal sortira nécessairement de la direction équivoque où l’on s’est engagé ; je ne veux pas que la responsabilité en pèse sur ma tête. Il faut que j’aie le droit de dire de moi-même : dixi et salvavi animam meam. L’égoïsme, la pusillanimité, l’aveuglement des puissances a laissé grandir la révolution il y a soixante ans, et Napoléon il y a cinquante ans ; aujourd’hui elles laissent grandir le formidable rejeton né de ce