Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vendit ensuite à Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, qui songeait à se faire roi d’Angleterre, et craignait de trouver dans le prince anglais un compétiteur redoutable. Guillaume lui fit promettre de renoncer à la couronne, mais Harold n’en prit pas moins le titre de roi à la mort d’Edouard, et ce fut là pour Guillaume un prétexte de guerre. En moins de huit mois, cet héroïque aventurier fit construire 400 grosses barques, 1,000 petits navires de transport, et rassembla à l’embouchure de la Dive une armée de 60,000 hommes. L’expédition cinglait vers l’Angleterre, lorsque les vents tournèrent subitement à l’ouest et la forcèrent de relâcher à Saint-Valery. Ce contre-temps excita dans l’armée une grande surprise, car elle comptait, pour obtenir une bonne traversée, sur le cheveu de saint Pierre que le pape Alexandre II avait envoyé au chef dont elle allait partager la fortune. Des symptômes de révolte commençaient à se manifester, lorsque Guillaume eut l’heureuse idée de faire promener sur le front de son armée les reliques du patron de la ville. Aussitôt le vent souffla vers la rive anglaise, et le lendemain, 29 septembre 1066, la flotte franchissait les passes de la Somme; quelques heures après, elle abordait sur la plage d’Hastings. La rade où s’étaient abrités les 1,400 navires normands, depuis le cap Cornu jusqu’au Hourdel, lentement abandonnée par la mer, s’est transformée en une belle plaine arable que la charrue sillonne depuis deux siècles; mais au pied de la falaise qui domine la baie on montre encore aujourd’hui la base d’une tour dont les premières assises, formées de galets, s’élèvent à peine d’un mètre au-dessus du sol, et cette ruine, c’est la tour d’Harold, la prison du naufragé.

Saint-Valéry suivit au XIIIe siècle le mouvement d’affranchissement qui s’était propagé à cette date jusque dans quelques villages de la Basse-Picardie; mais les habitans furent à diverses reprises frappés d’excommunication par les abbés, avec lesquels ils étaient continuellement en lutte. Ils résolurent de se venger, et ils se-livrèrent, en 1232, envers les moines à des violences qui ne sont pas sans analogie avec celles de la commune de 1871. Ils s’assemblèrent en armes sous la conduite du maire et des échevins, car alors comme aujourd’hui les maires se rangeaient parfois du côté des émeutiers, et ils menacèrent les religieux de les brûler dans leur église, en les privant pendant trois jours de toute nourriture. L’abbé, qui mourait de soif, supplia le maire de lui donner à boire : celui-ci lui présenta dans un casque une boisson que le pape Grégobe IX, dans la bulle fulminée contre les habitans, appelle par euphémisme une eau impure de dérision, et, tandis que quelques-uns des bourgeois cherchaient à incendier la porte du presby-