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le même mouvement, c’est la même vie. «Arrêtée d’abord par les guerres de religion, encouragée ensuite par la paix que fait régner Henri IV, la réforme du catholicisme par lui-même se répand et s’impose partout. Elle est servie par des hommes et par des femmes d’une vertu incomparable. De tous les rangs de la société sort un saint. » Aussi le clergé séculier rentre dans le devoir, et les anciens ordres religieux dans la règle, tandis que de nouveaux couvens se fondent pour donner le plus grand élan à l’œuvre de la perfection des âmes.

M. l’abbé Houssaye a puisé aux premières sources pour nous retracer la vie du cardinal de Bérulle. Dans le premier volume qu’il a publié, il fait revivre les grandes familles de magistrats auxquelles appartenait le neveu des Séguier. Il raconte ensuite comment se développa la vocation du jeune Bérulle. En suivant ses premiers débuts dans la vie sacerdotale, il nous le représente allant chercher en Espagne les carmélites, filles de Sainte-Thérèse, les faisant venir à Paris, dans le couvent de la rue Saint-Jacques, appelé à les diriger, et donnant à leur piété l’empreinte du génie français. Ses relations avec les religieuses de la communauté complètent heureusement la galerie des suaves figures du Carmel, que M. Cousin avait déjà évoquées ici même avec tant de charme dans la Jeunesse de Mme de Longueville.

En recherchant tout ce qui peut servir à l’édification des âmes, M. l’abbé Houssaye n’a pas perdu de vue les avantages même mondains que la société contemporaine avait trouvés dans la fréquentation des couvens du Carmel, où la reine, accompagnée de ses dames d’honneur, avait le droit d’entrée. En même temps que la morale de l’Évangile, dans toute sa perfection, s’imposait aux nobles visiteuses, elles rapportaient de leurs entretiens du cloître, avec le ton élevé des conversations, ce langage choisi, si opposé à la licence de l’âge précédent.

Dans l’introduction, M. l’abbé Houssaye nous promet un ouvrage qui ne sera complet qu’en trois volumes; il en donne le plan en esquissant à larges traits le rôle religieux de M. de Bérulle comme fondateur du Carmel français et de l’Oratoire, et son rôle politique comme l’un des principaux négociateurs de Louis XIII. L’auteur a su tirer de cette vie les enseignemens appropriés à notre temps en mettant en relief, dans M. de Bérulle, l’unité d’un grand caractère dominant de sa hauteur toutes les bassesses et toutes les défaillances, et en faisant valoir les dons d’une de ces natures énergiques et douces que rien n’ébranle dans leur inflexible honneur et dans leur dévoûment au devoir. Par un travail aussi consciencieusement approfondi, M. l’abbé Houssaye a repris la grande tradition du clergé français, et les plus sympathiques encouragemens doivent lui être donnés pour le continuer.


ANT. LEFÈVRE-PONTALIS.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.