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neuf ans avait été adressée au gouvernement français, qui se montrait disposé à l’accueillir favorablement, lorsque Boulogne et Calais, oubliant leurs vieilles rivalités, se réunirent dans un effort commun pour s’opposer au projet de MM. Waring.

Nous n’entrerons point dans le détail de l’ardente et très habile polémique que les deux villes ont soutenue pour démontrer, à leur point de vue exclusif, que la création du port d’Audresselles ne remplissait aucune des conditions que les capitalistes anglais faisaient valoir, qu’elle constituait un attentat à notre dignité nationale, qu’elle les menaçait d’une ruine complète, et qu’enfin le gouvernement n’avait pas le droit de faire la concession[1]. La polémique durait encore lorsque la guerre vint brusquement y mettre un terme. Aujourd’hui d’autres projets sont à l’étude, projets trop gigantesques peut-être pour être réalisés, car il s’agit soit d’un tunnel, soit d’un pont qui traverserait le détroit. Les gens pratiques pensent qu’il serait beaucoup plus sage de s’en tenir au plan proposé en 1865 par l’un des ingénieurs les plus distingués de l’Angleterre. « Ce plan, a dit M. Cucheval-Clarigny dans une lettre adressée aux journaux du Pas-de-Calais, prolongeait les jetées de Boulogne de manière à avoir un quai accessible à toute heure de la marée pour des bâtimens tirant 22 pieds d’eau; à droite, une rade marchande aurait offert un abri sûr aux navires de commerce ; à gauche, une rade militaire pouvait recevoir une flotte de bâtimens cuirassés. La dépense était évaluée à 20 millions et pouvait être réduite par l’ajournement ou la simplification de certains travaux, » Mais ces 20 millions, il fallait les trouver, et cette fois encore ce fut une compagnie anglaise qui vint les offrir. Comme les compagnies de Liverpool, de Glasgow et de Bristol, elle serait rentrée dans ses avances au moyen des droits de tonnage et d’ancrage, et en cas d’insuffisance l’état lui aurait complété un revenu de 5 pour 100. Il s’agissait, on le voit, du système de garantie d’intérêt appliqué à un port, comme il est appliqué aux chemins de fer, et c’est là, nous le pensons, la solution la plus rationnelle du problème, qui n’a été jusqu’ici abordé que sur le papier, et qui n’intéresse pas moins la France que les autres nations de l’Europe, car sur la côte inhospitalière qui s’étend de Dunkerque à Cayeux il se perd chaque année plus de soixante navires, bateaux côtiers, caboteurs ou trois-mâts.

  1. Cette polémique, dont nous avons eu toutes les pièces sous les yeux, grâce à l’obligeance de M. Gérard, le savant bibliothécaire de Boulogne, est résumée dans les deux brochures suivantes : Rapports faits à la chambre de commerce de Boulogne-sur-Mer, sur un projet de création par une compagnie étrangère d’un nouveau port au sud du cap Gris-Nez, in-4o, 1869; — l’Angleterre au cap Gris-Nez, Calais 1869, in-8o.