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vait pas la même situation, bien qu’il eût été plusieurs fois ministre. À la rigueur, on aurait pu former un cabinet de coalition, puisque c’était une coalition qui venait de renverser le ministère de M. Lanza. On l’a essayé, on n’a pas réussi, et c’est M. Minghetti, un des chefs les plus brillans de la droite, un des hommes les plus éminens de l’Italie, qui est resté définitivement chargé de constituer un cabinet. Puisque M. Minghetti n’avait pu s’entendre avec M. Depretis, il se trouvait nécessairement ramené vers son propre parti, vers toutes les nuances de l’opinion conservatrice.

Ce n’est pas sans peine qu’on est arrivé à un résultat. La crise s’est prolongée pendant près de quinze jours à travers des négociations laborieuses, dont le dernier mot a été la constitution d’un nouveau ministère où sont restés trois membres de l’ancien cabinet, M. Visconti-Venosta, M. Scialoja et le général Ricotti, où ont été appelés en même temps des hommes d’une sérieuse notoriété, M. Cantelli, qui a été déjà ministre, un magistrat des plus estimés, M. Vigliani, un ancien secrétaire-général des finances, M. Finali. Le chef du ministère, M. Minghetti, pourra-t-il rallier une majorité suffisante et permanente dans le parlement tel qu’il existe ? Là est le doute aujourd’hui. L’avantage de la combinaison nouvelle à un point de vue général, c’est que la présence de M. Visconti-Venosta indique assez que rien n’est changé dans la politique extérieure de l’Italie. Des journaux qui croient sans doute servir la France ne s’amusaient-ils pas hier encore à répéter que le maintien de M. Visconti aux affaires étrangères avait été imposé par la Prusse à M. Minghetti ? C’est un des plus étranges non-sens. M. Visconti, M. Minghetti, au contraire comptent au premier rang de ce parti modéré italien dont toutes les sympathies sont pour la France. Il y a sans doute en Italie un parti favorable à une alliance avec l’Allemagne ; mais ce parti, c’est la gauche, surtout la gauche extrême, radicale : ce n’est pas le parti représenté par l’administration qui vient de naître. Au fond, la difficulté n’est pas là pour le nouveau cabinet, elle est tout entière dans les affaires économiques. M. Sella est tombé sous le poids de ses projets financiers, c’est la question financière qui reste en première ligne, et elle n’est pas même dans les impôts qu’on peut avoir à proposer, elle est surtout dans la situation monétaire du pays. On a cru se tirer d’affaire pendant longtemps par une émission libre et sans limite de papier-monnaie descendant jusqu’aux plus petites coupures, jusqu’à un franc et même cinquante centimes. On a donné l’autorisation d’émettre ce papier d’abord à la Banque nationale, puis aux banques provinciales, puis de proche en proche aux banques particulières ou à toute sorte de sociétés industrielles. Quelle a été la conséquence de cette émission sans retenue et sans contrôle sérieux ? Aujourd’hui toute sécurité a disparu ; au moment où l’on reçoit une coupure, on n’est pas sûr que la so-