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par Mme Sorrin et ses filles contre l’innocente institutrice, tant les portraits de ces bourreaux sont poussés au noir. Il y a là une abondance de phrases de pensionnat, une ignorance de toute vie réelle, qui rendent cette lecture douloureuse; on souffre de voir des intentions si honnêtes servies par une plume si enfantine.

Cette étude sur les romans piétistes serait incomplète, si nous ne rappelions ici le livre de Mme de Witt, les Scènes d’histoire et de famille. Ce n’est pas un roman, le titre l’indique assez. L’auteur a réuni sous forme de nouvelles une suite de récits historiques auxquels se trouvent mêlées sans beaucoup de bonheur des aventures romanesques. Le style pèche par les mêmes défauts que nous avons signalés chez Mme Craven : il manque de fermeté, il se refuse les images vives, il abonde en réflexions morales, il ne reproduit jamais avec vigueur la force des passions. Il y a là toutefois un signe des temps : une œuvre commune réunit les piétistes catholiques et les piétistes protestans; c’est don ; le principe même qu’il faut discuter. Qu’on ne nous accuse point d’accorder trop d’importance à cette tentative; elle a produit déjà des livres nombreux, dont quelques titres seuls, pris au hasard, indiquent assez la tendance : Forts par la foi de Mlle de Haupt, l’Entrée dans le monde, Charme vaut mieux que beauté, par Mme Guillon-Viardot, le Danger de plaire, par M. Ant. Rondelet, etc., et les éditions répétées de Fleurange témoignent d’une influence considérable sur un public particulier. Le dessein de ces romanciers est assez manifeste : ils poursuivent l’alliance de la religion et de la littérature d’agrément. C’est leur prétention de dissimuler sous le charme des fictions leurs préceptes moraux. Ils ne se contentent pas d’être honnêtes, ils sont pieux, et c’est la piété qui les conduit à l’imagination. Or c’est précisément cette conception fausse et contradictoire qui les embarrasse. Il se trouve que leurs œuvres ne sont ni religieuses ni attrayantes. La religion repose tout entière sur le sentiment le plus sérieux et le plus profond de la destinée humaine. La vision des misères de la vie et de sa brièveté, l’effrayante alternative entre le bonheur et le malheur éternel, l’impuissance de l’homme à soutenir longtemps ses efforts et à régler lui-même sa volonté, le besoin d’un appui surnaturel qui soit aussi une consolation, telles sont les idées qui circulent au travers des grandes œuvres inspirées par la pensée religieuse. Quand ces idées s’emparent d’un esprit, elles lui imposent une austérité qui rend grave même le bonheur. Aussi n’y a-t-il point de forme qui convienne moins que le roman à l’expression de cette sévérité. La religion est comme le devoir, il importe peu qu’elle plaise ou non, son principe est l’obligation. Les romanciers piétistes diminuent donc la dignité de cette religion dont ils s’inspirent; une exécution parfaite autoriserait seule cette sorte de compromis entre le succès mondain et l’austérité chrétienne.

La vérité est que tous les romans de cette catégorie manquent de