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par de graves défauts; les descriptions sont souvent inutiles, les naïvetés préméditées. Enfin les auteurs n’excitent même pas ces sentimens de pitié pour le peuple qu’ils veulent provoquer. On cesse de s’intéresser à ces paysans raisonneurs pour qui toute vexation de l’ennemi est un prétexte à tirades républicaines. Ajouterons-nous que ce récit de nos malheurs ne fait pas mieux aimer la France? L’esprit de parti arrête sans cesse l’essor du patriotisme. C’est là un résultat triste dont les applaudissemens d’une coterie, si nombreuse qu’elle soit, ne consoleront point des écrivains de cœur.


II.

Il y a deux mille ans qu’Horace disait :

In vitium ducit culpæ fuga, si caret arte.


Un excès amène l’excès contraire; une doctrine étroite provoque une école plus étroite encore. Les doctrines réalistes ne pouvaient échapper à cette loi. La révolte s’est accomplie, et presque uniquement par les femmes. La science, qui fait l’éducation de l’homme, l’endurcit aux plus cruelles conséquences des idées; cette patience tout intellectuelle ne convient pas aux femmes, qui, dominées par le sentiment, séduites avant tout par l’amour et la sympathie, sont blessées des romans contemporains comme d’une insulte personnelle. Les femmes sentent bien qu’elles valent mieux que les tristes héroïnes de la Curée ou du Lion devenu vieux. Elles ont donc voulu, elles aussi, raconter leur pensée intime, et nous avons là sous les yeux une liste des œuvres dont les auteurs ont essayé de venger les âmes d’élite. Ces œuvres, qui obéissent à une même aspiration, qui relèvent d’une même théorie, sont assez nombreuses déjà pour former sinon une école, du moins un groupe; seulement ce groupe n’a pas encore de nom. Faut-il l’appeler catholique? Nous ne le pensons pas. Ce serait lui faire un honneur immérité. Une religion qui a inspiré de grandes œuvres à tous les arts ne saurait prêter son nom à des essais aussi pusillanimes. L’appellerons-nous moraliste? Pas davantage. C’est là encore un titre trop élevé pour des inventions si faibles; la vraie morale est plus forte, et ses inspirations sont autrement fécondes. Nous le désignons sous un nom emprunté à l’Allemagne et qui convient également, chez les protestans comme chez les catholiques, à tous les écrivains qu’une conscience timorée éloigne de l’art franc, c’est à-dire du sentiment large et de la libre recherche du beau. Le roman piétiste, voilà le nom de ce qui semble avoir été suscité chez nous par les débauches du réalisme. Pour apprécier cette tentative, nous pouvons nous en tenir à trois ouvrages qui ont obtenu l’honneur de plusieurs éditions : Fleurange, par Mme Augustus Craven,