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vêre les mène-t-elle à des erreurs d’esprit et quelquefois de cœur dont s’affligent les amis de leur talent. L’Histoire du plébiscite, que nous voulons désigner, est en effet une œuvre que le patriotisme doit condamner en dehors de tout esprit de parti. Un paysan, maire d’un petit village, près de Phalsbourg, a voté oui au plébiscite malgré les avis d’un sien cousin, nommé George, qui a rapporté de Paris des principes républicains et l’horreur de l’empire. Les Prussiens envahissent l’Alsace, entrent dans le petit village, emmènent le maire et son cousin comme voituriers à leur suite, et le roman est rempli par le récit des pérégrinations et des infortunes de ces deux paysans. — MM. Erckmann et Chatrian nous avaient donné déjà ici même dans le Fou Yegoff un récit de la première invasion. Le charme de ce roman résidait dans une suite de paysages et de portraits composés de détails familiers qui donnaient à l’ensemble une physionomie très spéciale. Ce charme se rencontre encore par endroits dans l’Histoire du plébiscite; mais ici combien la mesure a manqué! Déjà dans leurs premiers ouvrages apparaissait une philosophie de la guerre un peu étroite. Les auteurs ne semblaient pas assez comprendre que les peuples n’en viennent pas aux mains pour l’unique plaisir de leurs gouvernans, et que des lois plus profondes président à ces grandes calamités. Cependant ils exprimaient ce sentiment avec délicatesse. Nous avons tous plaint avec eux les pauvres paysans alsaciens forcés de quitter pour toujours peut-être leur mère, leur village, leur fiancée. Aujourd’hui la passion politique les emporte. Leur compassion pour les soldats se change en haines contre les chefs, leur pitié pour le peuple en déclamations contre les rois et les prêtres. On dirait que MM. Erckmann et Chatrian ont voulu aviver les haines civiles. Que demandent-ils? Ne nous trouvent-ils pas assez divisés? De tous côtés, un immense appel monte vers la concorde, nous sommes lassés, épuisés de discussions et de dissensions qui aigrissent chaque jour les esprits et empêchent toute action. Est-ce le devoir des écrivains qui se sont appelés nationaux de retarder l’heure de l’union et de l’oubli? S’ils veulent un exemple plus noble à suivre, qu’ils regardent la Prusse et l’Allemagne après Iéna. Les écrivains se répartirent en deux camps; les uns, Goethe et Hegel par exemple, se crurent plus utiles dans le domaine de l’idée pure, et ils écrivirent l’un le Divan, l’autre la Phénoménologie de l’esprit humain. Ceux qui au contraire, comme Fichte ou Körner, prêchèrent la croisade contre l’étranger, ceux-là ne revendiquèrent pas les droits d’une province ou d’un parti; ils ne servirent pas des récriminations justes peut-être, mais hors de saison. Le romancier, dont l’œuvre demeure, doit s’estimer plus que le journaliste, dont le travail est d’un moment et disparaît aussitôt. MM. Erckmann et Chatrian ont d’ailleurs été malheureux dans la mise en œuvre de leur idée. Les personnages de ce livre ont été vus ailleurs et mieux vus. Les qualités du style sont déparées