Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impressions subies, — les autres, actives, ont été produites par l’effort intérieur et la lutte contre les difficultés. Les premières dépravent l’organisme, les secondes l’affinent et le perfectionnent ; les premières relient l’homme à la nature et l’y absorbent, les secondes l’affranchissent de l’instinct et créent la personne morale. Au XVIIe siècle, c’est seulement cette façon de vivre que concevaient les spiritualistes cartésiens, pour qui toute passion était une pensée[1]. Au contraire les naturalistes du XIXe siècle ont aperçu l’action des milieux sur l’homme, et cette découverte a semblé si neuve, si décisive, que pour un grand nombre de romanciers les tempéramens ont remplacé les âmes.

Tel que nous l’a montré son style sensuel, violent, ignorant des idées, M. Zola devait se perdre dans le monde des impressions matérielles. Il n’y a pas manqué ; il en est venu à croire que, pour créer un caractère, il suffit de décrire les meubles, les tapis, les robes, les étoffes toutes les choses au milieu desquelles un personnage est placé, toutes les jouissances et toutes les douleurs que peut lui procurer une existence purement physique. Le type de ces créations fausses est cette Renée du Châtel, le principal personnage de la Curée. M. Zola ne s’est pas contenté de choisir le sujet le plus scabreux, il y a insisté avec une complaisance telle que nous pouvons à peine indiquer ici l’aventure criminelle qui fait la matière de tout un roman. Nous l’essaierons cependant en priant le lecteur de nous pardonner les détails où l’on nous contraint d’entrer. Renée est la fille d’un vieux magistrat, Béraud du Châtel ; privée de sa mère, elle vit au couvent jusqu’à dix-neuf ans. À peine en est-elle sortie qu’elle se trouve enceinte. Un homme de quarante ans, dont elle n’a ni su ni osé se défendre, lui a fait violence. Aristide Rougon, dit Saccard, se rencontre à temps, comme nous l’avons vu, pour l’épouser et lui sauver ainsi l’honneur, argent comptant. Aristide avait du premier lit un fils, Maxime, qui s’élève ou mieux se corrompt tout seul dans les jupes de sa belle-mère et des amies de sa belle-mère, jusqu’au jour où, presque sans réflexion, cette familiarité malsaine mène Maxime et Renée à l’inceste. Quand l’inceste est découvert, Renée se désespère uniquement de la tranquillité de ces deux hommes, son mari et son beau-fils, brutes stupides que rien n’émeut, fors l’argent, et qui ne lui procurent même pas l’émotion d’une catastrophe tragique. L’histoire est monstrueuse, le fond du tableau est plus hideux encore. Des grandes dames jouant le rôle d’entremetteuses et liées entre elles d’une amitié suspecte, des débauches contre nature présentées comme l’usage du monde, toutes les fleurs du mal réunies avec une sorte de verve joyeuse, sans un seul mot de blâme, sans un seul accent de tristesse, tel est, d’après M. Zola, le tableau de la société française, tels sont les témoignages

  1. Voyez Pascal, Discours sur les passions de l’amour.