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leil clair, les sables, immobiles sous les rayons qui les échauffent, brillent comme de la limaille d’argent; quand le vent fraîchit, des trombes de poussière siliceuse tourbillonnent autour des monticules, et l’on dirait que le sol va s’envoler. Les animaux les plus divers, et surtout les oiseaux, abondent dans ces solitudes; on y trouve des perdrix, des lièvres, des renards, des lapins[1], comme dans les plaines et les bois, — des vanneaux, des bécassines, des râles d’eau, des poules d’eau, comme dans les marais, — des avocettes, des barges, des pluviers, des combattans, des cavaliers à pieds rouges et gris, comme sur les rivages de l’Océan. L’aigle pêcheur vient s’y repaître des poissons qu’il a enlevés à la surface des flots. Le canard tadorne y fait son nid dans les terriers; la mouette y dépose ses œufs, et, comme l’autruche, elle les laisse couver dans les Beaux jours par le sable et le soleil. Le cri plaintif du courlis de terre s’y mêle au cri rauque et guttural du héron, et dans les froids de l’hiver des cygnes, des eiders, des oies, des volées de canards, chassés par les glaces des mers polaires, viennent s’abattre dans les bas-fonds. Quelquefois même les vents d’est et de sud y poussent des oiseaux inconnus, et c’est ainsi que des perdrix de l’Himalaya sont venues, il y a dix ans, s’y faire tuer par des braconniers picards.

Dunes ou falaises, ces côtes à l’aspect grandiose et sauvage sont également redoutables aux navigateurs dans les calmes et les tempêtes, et le nom sinistre d’anse des Morts, donné à l’une des criques du Hourdel, ne rappelle que trop les épaves humaines que les flots ont rejetées sur leurs bords. Il suffit pour échouer, même dans les plus beaux temps, d’une fausse manœuvre à travers des passes étroites qui changent d’une nuit à l’autre, et l’échouement est presque toujours la perte du navire, car il est vite démoli par les lames, et plus souvent encore, quand le reflux le laisse à sec, il se creuse par son poids une fosse dans les sables mouvans, et sa coque s’y engloutit tout entière. La mer, qui gagne continuellement sur la terre entre le Tréport et Cayeux, s’en éloigne depuis Cayeux jusqu’à la baie d’Authie, et l’on a tout lieu de craindre que la baie de Somme, déjà si dangereuse par suite des atterrissemens, ne soit complètement perdue pour la navigation dans un avenir prochain. M. Baude explique avec l’autorité d’une science irréfutable les causes multiples de ce phénomène hydrographique et géologique, et ces causes il les trouve non-seulement dans des accidens purement physiques, mais encore dans l’insuffisance ou la mauvaise

  1. Les lapins pullulent tellement, que l’on a pu, sans dépeupler, en abattre 1,400 dans une seule ouverture de chasse au chien d’arrêt.