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même, de fixer la limite où, devenue abusive, elle voit son caractère s’altérer et son droit s’éteindre, la conférence balbutie, et n’a plus ni le même aplomb, ni la même fermeté d’accent. L’hésitation persiste au sujet des associations d’ouvriers et des tolérances légales que le régime allemand leur accorde; autant d’orateurs, autant d’opinions souvent contradictoires. Ceux-ci penchent pour le système de coopération ou, pour parler plus clairement, de participation des ouvriers aux bénéfices des patrons; ceux-là ne voient dans cet arrangement qu’un avantage précaire où l’ouvrier est à chaque inventaire à la merci du maître qui le paie et doute plus ou moins de la sincérité des comptes qu’on lui rend, — controverses souvent reprises, jamais vidées, et qui sont destinées à mourir où elles sont nées, d’ms les brouillards de la spéculation. C’est là d’ailleurs que les Allemands se plaisent; ils aiment mieux discuter que conclure, et multiplient les opinions afin de n’avoir pas à s’expliquer sur les faits.

Les Anglais aiment mieux les faits, et sur ces deux points encore, — les unions des corps de métier et les grèves d’ouvriers, — ils donnent le branle au monde industriel. En réalité, il n’est point d’acte d’émancipation, en matière de travail manuel, dont ils n’aient été les initiateurs et les poursuivans infatigables. L’Europe étouffait encore sous l’étreinte des corporations, que déjà ils s’en étaient affranchis. A la fin du siècle dernier, la loi déclarait illicite, quel qu’en fût l’objet, toute société qui se composait de plusieurs branches correspondant entre elles, et en 1817 un bill nouveau soumettait à des restrictions sévères toute réunion de plus de 50 personnes. C’eet le point de départ, la date du sédition meeting act. En 1824, cet échafaudage, debout de temps immémorial, tombe par le fait seul d’une dénonciation individuelle. Joseph Hume présente une motion au parlement pour demander l’abrogation de la loi qui punissait les ouvriers pour s’être entendus avec l’intention de se mettre en grève ou pour obtenir d’une manière quelconque une élévation de salaires. Il signale les abus et les inconvéniens de cet interdit jeté sur la faculté qui doit être laissée à tout homme de disposer de ses bras, il démontre les avantages qui naîtraient du système contraire, c’est-à-dire de l’usage licite de la liberté. La discussion fut ardente, mais sérieuse et élevée; le bon sens et la justice l’emportèrent sur les intérêts et les préjugés dominans. Ce fut toute une révolution. L’expérience la justifia dès le début, et les faits, en se succédant, ont confirmé la vertu du principe. Depuis ce temps, les Anglais ont appris à trouver le point précis qui doit séparer les actes permis des actes délictueux, et leur législation a eu pour but de ne jamais léser la liberté des uns en étendant celle des autres. C’est ainsi qu’ils