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loyale, et par cela même elle a conservé pour les intrigans politiques, tout en se laissant quelquefois duper par eux, un mépris souverain. Au XVIe siècle, elle a donné le signal de la ligue, parce qu’elle était catholique fervente et qu’elle sentait, par une sorte d’instinct patriotique, que la réforme mettait en péril l’unité du royaume, pour laquelle elle avait versé son sang; mais depuis cette époque elle s’est toujours préservée des excès politiques. Les cahiers qu’elle a présentés aux états-généraux de 1789 sont des modèles de raison et de patriotisme, et quoiqu’elle ait embrassé avec ardeur les principes de la révolution, elle n’a pris part à aucun de ses égaremens. La sagesse des majorités contenait les instincts féroces des terroristes. L’échafaud révolutionnaire ne fut dressé qu’une seule fois dans le département, le 9 octobre 1795, pour l’un des plus grands scélérats qu’ait produits le jacobinisme, pour Joseph Le Bon, le hideux proconsul d’Arras. On l’a dit avec raison, les populations de la Picardie n’ont jamais exercé sur la France une puissance dominatrice; elles ne lui ont pas fourni de grands hommes d’état; mais, quand on parcourt le bassin de la Somme, ce terrain si ouvert où la nature a tout fait pour l’invasion et rien pour la défense, on ne peut se rappeler sans un profond sentiment de reconnaissance les services rendus par les Picards au salut national, depuis Bouvines jusqu’à notre temps même. Aucune autre province peut-être n’a plus cruellement souffert des dévastations de la guerre, aucune autre n’a opposé aux envahisseurs un courage plus obstiné, une résistance plus tenace. Nous y rencontrerons partout les ruines qu’ont laissées derrière eux les soldats d’Edouard III, de Talbot, de-Henri V, de Charles-Quint, du duc de Parme, de Jean de Werth, de Piccolomini, les Poméraniens de Gœben et les Rhénans de Manteuffel, mais ces ruines elles-mêmes nous apprendront que la France possède en elle une vitalité qui défie tous les désastres, et qu’elle se relève plus vite encore qu’elle ne tombe.


II. — LE LITTORAL DE LA BRESLE A LA CANCHE. — LES FALAISES ET LES DUNES. — LA BAIE ET LE CANAL DE LA SOMME. — UN PORT ANGLAIS SUR LA TERRE FRANÇAISE.

Les côtes du département de la Somme présentent un développement de 65 kilomètres et non pas de 37, comme il est dit dans la plupart des géographies récemment publiées. Au sud, sur la rive gauche, à partir de la Bresle, se dressent comme une gigantesque muraille des falaises à pic, hautes de plus de 100 mètres, où viennent nicher les cormorans. A peu de distance en avant de Cayeux, ces falaises font place à un énorme banc de galets roulés qui se