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de gaz réglées de manière qu’elles frémissent et s’élancent en languettes sous l’action de notes musicales déterminées : c’est ce que les physiciens appellent des flammes sensibles. En faisant détoner sur une enclume, à quelque distance de l’appareil, diverses matières explosives, on a constaté que la nitroglycérine et le fulminate de mercure provoquaient à 5 mètres le départ de toute la gamme de flammes sensibles, tandis que l’iodure d’azote n’agissait sur ces flammes que si l’on rapprochait l’enclume, et à commencer par les notes supérieures. Quoi qu’il en soit de ces différences, on ne peut se refuser à en reconnaître l’importance pratique.


III.

Ce n’est pas tout de connaître les effets d’une force nouvelle qui a été apprivoisée ; pour l’asservir définitivement, il faut l’étudier sous tous ses aspects, il faut en surprendre les secrets les plus cachés. On voit bien le boulet frapper la cible ; mais de quelle façon les choses se passent-elles dans l’âme du canon ? Quels sont les gaz qui se dégagent quand la poudre fait explosion ? Quelle est la température, la densité, la pression de ces gaz ? De quelle manière l’impulsion est-elle communiqués au projectile ? À quel chiffre s’élève le rendement des bouches à feu, c’est-à-dire le rapport entre la force mise en œuvre et l’effet utile ? Ces questions n’ont pu être résolues que par des efforts successifs ; elles ne sont devenues complètement abordables que grâce à la théorie mécanique de la chaleur, qui a déjà éclairé tant de mystères et dissipé tant d’obscurités !

On peut admettre que la combustion de la poudre de guerre ne transforme en gaz qu’un tiers environ du poids de la charge ; le reste se retrouve dans les scories qui encrassent l’âme du canon ou tourbillonnent dans la fumée, et qui consistent surtout en sulfate et en carbonate de potasse. Les produits gazeux se composent principalement d’acide carbonique et d’azote : l’acide carbonique remplit la moitié, l’azote les quatre dizièmes du volume qui contient les gaz. Refroidis à zéro degré et maintenus à la pression atmosphérique, ces gaz occuperaient en nombres ronds 200 fois le volume de la charge. La température excessive à laquelle ils se trouvent subitement portés, — quelques milliers de degrés, — en accroît énormément la force expansive ; pour rester à la pression atmosphérique malgré une chaleur de 3,000 degrés par exemple, il leur faudrait un espace douze fois plus grand, soit 2,400 fois le volume de la charge. Or ils sont d’abord emprisonnés dans la chambre à feu, dont la capacité est encore diminuée par les résidus solides de la poudre : il en résulte une tension de 4,000 ou 5,000 at-