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sieurs morceaux, avec des charges relativement faibles de dynamite.

On a songé aussi à charger les obus, soit avec de la dynamite, soit avec du fulmi-coton comprimé; mais l’expérience a montré que ces produits sont ici plus que défectueux. Par suite du choc de la décharge, il arrive que l’obus éclate trop tôt, quelquefois même dans la gueule du canon, qu’il détériore; d’autre part la détonation est si violente que le projectile est réduit en petits fragmens et dispersé aux quatre vents sans faire beaucoup de mal. On en est donc toujours à chercher pour l’éclatement des obus un agent plus puissant que la poudre ordinaire, mais moins brisant que la dynamite ou le fulmi-coton. Il est probable qu’un composé remplissant ces conditions se rencontrera dans le groupe des matières explosives dérivées de l’acide picrique, dont il nous reste à parler.

L’acide picrique est un produit cristallin et amer qu’on extrait du goudron de houille, et qui forme, en se combinant avec la potasse, un sel jaune, extrêmement explosif, le picrate de potasse. Mélangé d’une part avec du salpêtre, et de l’autre avec du chlorate de potasse, ce sel est la base des poudres fabriquées pour la première fois par M. Designolle et par M. Fontaine. Ces composés étaient depuis quelque temps, en France, l’objet d’études suivies au département de la marine et à celui de la guerre, et M. Designolle avait reçu mission de fabriquer de la poudre au picrate à la manufacture du Bouchet, quand l’explosion d’un baril de picrate de potasse dans les magasins de M. Fontaine mit en émoi tout le quartier de la Sorbonne et arrêta les expériences. On ne sait pas au juste comment le picrate fut enflammé dans cette circonstance. Toujours est-il que dans les conditions ordinaires la poudre au picrate n’est guère plus inflammable que la poudre au salpêtre : elle détone sous l’influence du choc, mais seulement d’un choc violent, sec, appliqué d’une certaine manière. La puissance explosive qu’elle développe, surtout lorsqu’elle est comprimée, comme elle serait dans des obus ou des torpilles, est supérieure à celle de la poudre de mine, inférieure à celle de la dynamite et du fulmi-coton.

Au mois d’avril 1868, une expérience fut faite avec une torpille chargée de poudre au picrate de potasse, dans la rade des îles d’Hyères. La torpille, contenant 500 kilogrammes de poudre, fut plongée à 7 mètres de profondeur dans la mer, à 60 mètres environ de la pointe Léaube. A un signal donné, on mit le feu à la torpille par l’étincelle électrique : aussitôt la mer fut soulevée sous forme d’une calotte sphérique ayant près de 2 mètres de hauteur et 30 mètres de tour. Un cône d’eau s’élança en l’air à 50 mètres,