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nous encouragent à visiter à notre tour l’une de nos plus anciennes provinces, l’une de celles qui ont le plus glorieusement contribué à fonder notre unité nationale, la colérique Picardie, comme l’appelle M. Michelet, quoique les habitans soient aussi calmes et aussi froids que leurs voisins d’Angleterre, avec lesquels ils ont évidemment une origine commune. Nous serons là en pleine langue d’oïl, sur une terre qui diffère autant de la Bourgogne que la Bourgogne elle-même diffère de l’Allemagne, sur la terre classique des trouvères, des communes[1], du droit féodal, de l’industrie et de la guerre.


I. — HISTOIRE ET STATISTIQUE.

Antérieurement à la conquête de César, six grandes peuplades gauloises, les Bellovaques, les Suessiones, les Veromanduens, les Ambianais, les Britanni et les Morins, occupaient la région désignée au moyen âge sous le nom de Picardie. C’était là que les anciens plaçaient les bornes du monde, extremi hominum Morini, avant que Germanicus les eût reculées par la victoire jusqu’à la mer des Suiones! Comprise sous les empereurs dans la seconde Belgique, rattachée tour à tour sous les Mérovingiens aux royaumes de Neustrie et d’Austrasie, la Picardie, à l’avènement de la troisième race, appartenait, comme le dit Du Gange, l’un de ses plus illustres enfans, à cette portion de la Gaule qu’on appelait proprement la France. Ses limites géographiques changèrent souvent, mais elle a toujours eu pour principal centre les quatre subdivisions territoriales connues sous le nom de Vimeux, Ponthieu, Amienois et Santerre. Ces petites provinces ont formé au moment de la révolution le département de la Somme, et c’est ce département que nous allons plus particulièrement étudier. Nous y retrouverons de grands souvenirs, et, à défaut des magnificences de la nature, quelques-uns des plus beaux monumens du génie religieux de nos ancêtres.

Comme l’Artois et la Flandre, le département de la Somme est un pays plat; les plus hautes collines s’élèvent à peine à 150 mètres, les rivières y coulent dans des vallées étroites, plantées de saules, d’aulnes et de peupliers, et coupées de tourbières qui forment comme autant de petits lacs où flottent sur des eaux dormantes les larges feuilles des nénufars. Les plaines, riantes en été

  1. Nous n’insisterons point ici sur l’histoire détaillée des communes picardes, parce qu’il faudrait à chaque instant revenir sur les mêmes faits. Cette histoire se trouve d’ailleurs dans toutes les monographies locales, et M. Augustin Thierry l’a résumée et en a publié tous les titres dans les quatre volumes des Documens inédits de l’histoire du tiers-état.