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vient d’une âme virile. Il est des momens où la résignation est un crime et la révolte un devoir.

Manzoni a donc pu se tromper en plus d’un point ; nous trouvons même assez faible sa défense de la morale catholique. Sismondi avait attribué à cette morale la corruption de l’Italie ; Manzoni prit aussitôt la plume pour rétorquer cette assertion, mais ne se ruina pas en armes neuves ; toute son argumentation se réduit à ceci : le catholicisme a fait de bonnes choses, il en a fait de mauvaises ; les mauvaises viennent des hommes, et les bonnes viennent de lui. Si les papes ont vendu des indulgences, c’est qu’ils n’étaient pas assez bons catholiques. — Cette dialectique n’était point malaisée ; le polémiste l’a rendue plus facile encore en confondant à propos l’église et l’Évangile, qui cependant n’ont pas toujours été d’accord ; mais ajoutons que dans cette discussion il n’a pas montré la mauvaise foi qu’y portent certains adeptes. On ne lui reprochera pas, par exemple, d’avoir contesté, ni éludé la Saint-Barthélemy, encore moins de l’avoir justifiée, ni encore d’avoir prétendu que ce massacre avait été commis par les huguenots. Il a dit seulement : « Le souvenir de cette nuit si atroce devrait servir à faire proscrire l’ambition, l’esprit factieux, les abus de pouvoir, la révolte contre les lois, la politique horrible et insensée qui enseigne à violer constamment la justice pour obtenir quelque avantage, et, quand ces violations accumulées ont conduit à un péril bien grave, enseigne que tout est permis pour sauver tout. » Manzoni flétrit donc les pièges, les fraudes, les provocations, les ressentimens, l’avidité du pouvoir qui pousse à tous les complots et à toutes les audaces, l’injuste amour de la vie qui fait transgresser toutes les lois : telles furent, selon lui, les véritables raisons du carnage « qui rendit cette nuit infâme… Mais la religion catholique n’a point agi ni pu agir comme une cause naturelle de dissension. »

Autre point à noter, le ton excellent de la polémique. Manzoni Est un homme bien élevé qui salue son adversaire avant de se mettre en garde ; disons mieux, un chrétien qui en veut au péché, non au pécheur. Supposons qu’un bretteur dévot comme il y en a tant eût voulu de nos jours discuter les idées de Sismondi, il serait allé droit à l’homme. Il aurait dit : « Ce niais de Sismondi » (le mot a été imprimé) : il aurait attaqué le corps trapu, l’obésité, l’accent genevois de l’historien ; il aurait recueilli certains commérages pour prouver que Sismondi ne s’appelait pas Sismondi, mais Simon, et que ses ancêtres étaient parfaitement innocens de la mort d’Ugolin. Pour démontrer que la morale catholique est la bonne, le journaliste dévot eût traité l’indévot de bourgeois, de cloporte, de chiffon, de navet, de crapaud tuméfié de voltairianisme, de