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L’intérieur de l’église n’est pas moins remarquable que la façade. Une harmonie parfaite règne dans toutes les parties, et rappelle les admirables dispositions de la cathédrale d’Amiens. Ce ne sont pas seulement les détails architectoniques qui donnent au monument un grand attrait de curiosité, ce sont aussi de nombreuses œuvres d’art. Tandis que dans la plupart de nos églises les fresques ont disparu sous le pinceau inintelligent des curés badigeonneurs, la trésorerie de Saint-Riquier nous offre encore deux grandes peintures murales qui représentent : l’une la translation des reliques de ce saint par Hugues Capet en 981, l’autre une mesnie de la mort, c’est-à-dire une danse macabre. Cette danse est divisée en trois grands compartimens. Dans le premier sont figurés trois squelettes; l’un d’eux creuse une fosse, l’autre porte une pioche, emblème de démolition, le troisième une flèche, instrument de mort. Au-dessous de ces lugubres personnages, on lit ce quatrain :


O folles gens mal advisées
Qui estes de haut lieu prisées,
Pensez à la mort très certaine
Et leschiés la joye trop mondainne.


Dans le second compartiment, des cavaliers richement vêtus et montés sur des chevaux de grande taille partent pour la chasse, le faucon sur le poing; mais à la vue des squelettes les chevaux refusent d’avancer, et l’un des faucons effaré s’envole à tire-d’aile. Dans le troisième compartiment marchent dans le même sens que les cavaliers des gens de tous les états. Tableau terrible ! sauvage et poétique enseignement qui rappelait aux hommes dans la société féodale, si pleine d’inégalités, l’égalité devant cette fosse creusée par le squelette. C’était là, dans ces allégories funèbres, que s’étaient réfugiées, au déclin du moyen âge, la grandeur et l’austérité de la pensée religieuse. Tandis que les associations burlesques, les Cornards, les Joyeulx enfants de l’abbé Maugouverne et de la mère Sotte, promenaient à travers les villes leurs bandes désordonnées, tandis que le bon roi René, dans ses romans allégoriques, représentait les Dames marinières attrapant des cœurs au filet pour les mettre dans la boîte aux oublies, l’art chrétien tentait un dernier effort pour ramener les fils d’Adam vers Dieu par le spectacle de leur néant. Il leur montrait la mort sous les aspects les plus divers, toujours menaçante et toujours inévitable. Il la plaçait, un cercueil sous le bras, dans le cortège des rois; il la plaçait, une bêche à la main, comme une invitée de la noce, à côté de la mariée qui montait à l’autel, le sein paré du bouquet virginal, ou bien encore il la représentait sous la forme d’un bûcheron occupé à scier