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sièges pendant la guerre de cent ans. Les Bourguignons et les Français s’en disputèrent la possession, et Louis XI la fit brûler en expulsant les habitans, quoiqu’elle fût devenue française, de peur qu’elle ne retombât aux mains des Bourguignons, si la guerre venait à se rallumer. Cette fois encore elle se releva de ses ruines pour soutenir de nouveaux assauts dans les invasions du XVIe siècle. En 1536, 2,000 Allemands, avec deux pièces de canon, se présentèrent devant ses murs ; mais à cette époque les Allemands n’avaient pas la ressource de brûler les villes pour se dispenser de les prendre. Il fallait faire brèche ou donner l’escalade. Les habitans, qui n’avaient pour toute garnison qu’une centaine d’hommes, se portèrent sur les murailles, et les femmes leur donnèrent l’exemple ; elles lancèrent sur les assaillans des pierres, des tisons enflammés, et l’une d’elles, Becquetoille, qui était la première à batailler, enleva un étendard au moment où un soldat ennemi le plantait sur la crête du rempart. Les assiégeans, forcés de renoncer à l’attaque, s’éloignèrent, laissant plus de 100 morts au pied des tours, et traînant à leur suite plusieurs charrettes remplies de blessés. François Ier, qui se connaissait en courage, s’empressa de féliciter les dames de Saint-Riquier, et Brantôme leur consacra un souvenir.

Quelques restes de tours, des fossés à demi comblés où fleurissent des pommiers, un beffroi et une église rappellent seuls qu’il y eut là une vieille cité ecclésiastique, municipale et guerrière ; mais cette église est un chef-d’œuvre d’architecture. Commencée dans les dernières années du XVe siècle et terminée en 1511, elle offre, avec les arabesques de la renaissance, un remarquable entre-croisement d’ogives et de pleins cintres. Le portail se divise en trois porches, surmontés d’une tour carrée, du plus bel effet, et à côté des nombreuses figures bibliques qui le décorent, à côté de Charles VII et de Louis XII, se détache la plus noble et la plus pure des images que puisse tailler un ciseau français, l’image de Jeanne d’Arc. L’héroïne est représentée en habits de femme, un chapeau sur la tête ; elle tient dans la main droite une lance à demi brisée, ses yeux sont baissés vers la terre, et son visage d’une beauté parfaite porte l’empreinte d’une profonde tristesse. Or les Anglais, avant de conduire Jeanne au Crotoy, l’avaient pendant quelques jours enfermée dans le château de Drugy situé aux portes mêmes de Saint-Riquier. Les dames de cette ville étaient allées la visiter dans sa prison, et quand l’église fut bâtie, soixante-quinze ans à peine s’étaient écoulés depuis la fatale sortie de Compiègne. Ne peut-on pas supposer que le sculpteur s’est inspiré des traditions qui conservaient vivant encore le souvenir de l’héroïne ? S’il en était ainsi, la statue picarde aurait une grande valeur historique.